Château, dragon, colère: des métaphores por dompter nos émotions.

Augustine GRANGER pour la Revue Hypnose & Thérapies brèves n°71



Peur, tristesse, joie, dégoût ou colère, dont on dit qu’elle est mauvaise conseillère... Ballottés, submergés par leurs émotions, des patients partent à la recherche de leur dragon pour prendre du recul?et reprendre pied. Depuis vingt ans que j’accompagne en libéral des hommes, des femmes, des adolescents, des parents, des enfants... la question des émotions est centrale dans une grande majorité des cas, car les émotions nous traversent, nous submergent, nous dépassent. « Bonjour Madame, j’aimerais apprendre à gérer mes émotions », « Augustine, je voudrais comprendre pourquoi la colère m’envahit si souvent », « je n’arrive pas à gérer mes émotions, aidez-moi »... Voici quelques exemples récurrents de motifs de consultation. Mais au fait, nos émotions, à quoi servent-elles ? Quels sont leurs mécanismes ?

CINQ ÉMOTIONS, BONS GUIDES, MAUVAIS MAÎTRES

Nos émotions sont de petits signaux dans notre corps qui ne durent pas forcément longtemps et qui sont là pour attirer notre attention sur une situation. Nos émotions sont donc personnelles et subjectives, basées sur nos expériences, notre culture, notre personnalité, notre histoire, nos sensibilités... Il ne sert donc à rien de vouloir les mettre sous le tapis, sans quoi la carpette est bientôt vite trop petite pour contenir toutes les émotions qu’on voudrait ne pas considérer. Gérer nos émotions, c’est plutôt apprendre à les reconnaître, com- prendre ce qu’elles ont à nous dire d’une situation, pour choisir comment réagir, grâce à un relais cognitif. Nos émotions ne sont pas de bons maîtres, dans ce sens qu’elles sont là pour attirer notre attention ; c’est notre cognition qui doit prendre le relais pour gérer les situations.

REPLACER LES ÉMOTIONS

Avant d’utiliser cette métaphore médiévale du dragon, il s’agit de replacer nos émotions dans ce qu’elles ont à nous dire.

Le dégoût est là pour nous tenir à dis- tance des substances toxiques et des ma- ladies. L’appétence que l’on a pour un ali- ment est à la fois personnelle et cultuelle : de nombreux végétariens n’aiment pas le goût de la viande (dégoût personnel) et la plupart des Français ne mangent ni sauterelles ni araignées (dégoût culturel). Il revient aux parents de transmettre culturellement et cognitivement un modèle de gestion du dégoût : apprendre aux jeunes enfants à manger des légumes verts, mal- gré leur consistance parfois peu inspirante pour des tout-petits.

La tristesse est là pour nous parler de nos attachements, à des personnes, à des relations, à des projets. Quand on est triste, c’est qu’on a compris que quelque chose était terminé ou inaccessible, et notre tristesse nous indique notre difficulté à intégrer cela : la tristesse dans le deuil est là pour prendre conscience de la mort de l’Autre, la tristesse suite à une rupture est là pour nous faire réaliser l’impossibilité dans la relation.

La joie est là pour nous raconter le goût de la vie et nous donner l’énergie de dépasser les obstacles de l’existence. La joie attire notre attention sur ce qui nous fait du bien, nous fait vibrer intérieurement.

La peur est une réaction rapide de fuite devant une menace. Quand la menace est concrète (voir en tant que piéton une voiture rouler vers nous à vive allure alors qu’on est sur la chaussée), s’installe une réaction rapide et sensée : tachycardie, hyperventilation, décharge d’adrénaline, néoglucogénèse hépatique... de façon à courir vite vers l’endroit le plus en sécurité (le trottoir le plus proche). Quand la menace est possible mais pas présente (attraper le Covid, passer un exa- men), il s’agit de stress, une réaction de peur anticipée. Si la menace est concrète, présente, envahissante (une agression), se met en place la sidération ou thanatose : la même réaction que la peur à laquelle s’ajoute non pas la fuite mais l’immobilité. La peur peut prendre deux autres formes : celle de l’angoisse et celle de la phobie, où se mêlent des menaces possibles mais où la cognition a du mal à se faire une place stratégique.

Enfin vient la colère, une émotion chaude, agressive, destructrice, ayant pour but de protéger notre intégrité physique, psy- chique, notre territoire, nos valeurs. La colère nous indique un danger, une menace dans ce qui nous est propre avec l’idée de combattre, de ne pas se laisser faire.

NOS EMOTIONS MAL UTILISÈES

Nos émotions sont de bons guides, mais de mauvais maîtres, dans ce sens que lorsqu’elles prennent les commandes à la place de notre cognition, nos comportements ne sont pas des plus adaptés ou stratégiques.

Prenons le dégoût : en mettant côte à côte de la confiture de fraise et une saucisse, l’idée de manger les deux en même temps peut générer du dégoût, alors que l’association des deux aliments n’a rien de dangereux. S’il n’y a rien d’autre à manger, au bout d’un moment (plusieurs jours) la cognition devra prendre le dessus sur le dégoût, au risque de dépérir.

La tristesse n’est pas un bon maître non plus : pleurer à la fin d’un week-end entre amis ou en famille parce que c’était très agréable et qu’il faut retrouver le chemin du travail n’est pas pertinent dès lors que tout le monde est vivant et que d’autres retrouvailles seront possibles. La joie non plus n’est pas un bon maître, car se réjouir trop et trop tôt de par- tir en vacances le matin d’un examen ne permet pas de se concentrer sur l’examen à passer en premier. Les adolescents qui organisent leurs premières fêtes doivent vite apprendre à ne pas se laisser envahir par la joie de l’événement à venir pour envisager aussi tous les désagréments qui vont avec les fêtes (ceux qui boivent trop, ceux qui viennent sans avoir été invités, ceux qui ne respectent pas les lieux...).

La peur n’est pas bon maître dans le sens où refuser de passer le bac parce qu’on a peur n’est pas une solution adaptée. A ce titre, à force d’inciter les jeunes à avoir peur de tout et de l’avenir, un certain nombre d’entre eux ne veulent pas grandir, souhaitant le plus possible reculer l’entrée dans la vie adulte qui semble si compliquée. Nombre d’angoisses semblent ainsi dissimuler des questions existentielles basées sur la peur de ne pas être à la hauteur des obstacles de la vie : angoisse du jeune diplômé, angoisse des parents d’enfants turbulents ou d’adolescents... D’autres interrogent la dysharmonie qu’il peut y avoir entre nos valeurs, nos principes et notre réalité ; ce que l’éco-anxiété révèle.

Quant à la colère, elle peut facilement dépasser, envahir... et être déportée. Comme le dit Aristote : « N’importe qui peut se mettre en colère, c’est facile, mais être en colère contre la bonne personne, dans la bonne mesure, au bon moment, pour le bon but et de la bonne manière – cela n’est pas facile. »

CE QU’ON PEUT BIEN FAIRE DE NOS ÉMOTIONS, EN DEVENANT LEUR MAÎTRE

Notre cognition nous permet de nous adapter avec stratégie, d’avoir une vision d’ensemble des situations, là où nos émotions attirent notre attention sur des éléments de contexte (à juste titre). Etre en conscience de nos émotions permet donc de ressentir l’attention portée par l’émotion à un élément de notre environnement, pour cognitivement envisager l’ensemble de la situation et choisir comment gérer la situation de façon adaptative. Ce qui est vécu comme compliqué est de ne pas rester sous le coup de l’émotion, prendre du recul pour voir plus large, prendre du recul avec l’émotion. C’est là toute la ressource du néocortex (cf. cerveau triunique de Paul MacLean), que la transe hypnotique va pouvoir activer en prenant du recul pour ne pas être envahi. Il s’agit de sortir de l’immédiateté et de construire un nouveau chemin réactionnel, ici au sujet de la colère. CHÂTEAU, DRAGON, COLÈRE « Prenez le temps de choisir où installer votre château, d’en faire le tour, de vérifier que les remparts sont en bon état. Au besoin, prenez le temps de les consolider. A l’intérieur, après le pont-levis, il y a le château central, avec des pièces pour recevoir, et quelque part un endroit très confortable et ressourçant. Prenez le temps de vous y installer confortablement et de vous imprégner de ce confort rassurant par les volumes, les textures, les couleurs, une odeur rassurante, une mélodie ou un chant d’oiseau peut-être. C’est un bon endroit pour se ressourcer, avec bien au loin, au- delà des remparts, l’agitation du monde. Quand vous êtes prêt, prenez le temps d’aller à la rencontre de votre dragon. S’il est à la cave, prenez le temps de le mettre en confiance et de le faire sortir. S’il est au rez-de-chaussée, prenez le temps de le faire monter, voire de monter sur son dos pour voler vers le sommet du donjon, et contempler d’en haut. C’est votre bon guide, vous en êtes le maître. »

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AUGUSTINE GRANGER

Psychologue installée à Rennes en libéral depuis 2003. Formée en hypnose ericksonienne et thérapies brèves à Emergences depuis 2009. Trésorière membre de l’IMHERB Rennes- Bretagne. Elle a animé un atelier métaphorique sur « la colère » lors du dernier congrès Emergences de Saint-Malo, dont est issu son article.

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Rédigé le Vendredi 19 Juillet 2024 modifié le Mardi 23 Juillet 2024
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Vice-Président de France EMDR-IMO ® Président du Collège d'Hypnose et Thérapies Intégratives… En savoir plus sur cet auteur



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