L'Amour. La vision de Stephanie Lacruz, Psychanalyste à Paris



Il devient difficile de définir ce qu’est l’amour, lorsqu’on grossi à la loupe cette émotion de l’homme et qu’on s’aperçoit qu’elle peut prendre plusieurs formes. On y observe d’abord toutes les tendances attractives, toutes les inclinations (en dehors du besoin matériel), telles que l’amour des parents pour les enfants, les inclinations de groupe (esprit d’équipe) et les inclinations individuelles (amour du métier). L’attraction vers un besoin matériel n’est pas une émotion d’amour mais on utilise pour autant, le verbe « aimer ». Nous ne disons pas, j’aime à boire mais plutôt, j’aime boire. On ne dit pas que l’on a l’amour de l’alcool.

Si l’amour attire c’est souvent parce que par anticipation, nous pressentons les bénéfices que procure ce sentiment. Il apaise, il nourrit l’esprit et il crée.
L’amour apaise ce que son contraire, la haine, conduit vers la tension musculaire, la souffrance. Pour autant, l’amour ne saurait exister sans la haine, car la tension musculaire et la souffrance, telle qu’on peut la définir : supporter et se maintenir « suffere », est l’état originel du bébé, lequel, dès sa naissance, commence un travail de comparaison incessant entre ses ressentis internes et les réactions externes de son entourage lors de nouvelles expériences de séparation et de retrouvailles. Ses émotions et ses affects chaotiques sont ici en position centrale et s’organisent dans l’interaction avec l’adulte qui lui apporte le soin, mais aussi du sens.

Dans cet exemple, l’amour du parent qui a pour objet, le bien être du bébé, est donc une tendance essentiellement opposée à l’égoïsme, répondant à la définition bien connue de Leibniz « Amare est gaudere felicitate alterius ». C’est en recevant cet amour, qui organisera sa pensée, que le bébé devenu adulte pourra aimer à son tour. L’amour nourrit l’esprit puisque le bébé reçoit un message de l’adulte auquel il ne s’attend pas. Ce message, dans le meilleur des cas répond à ses besoins immédiats et lui procure un apaisement qu’il recherchera à nouveau, initiant ainsi sa curiosité sur la question des origines.

L’enfant humain naît prématuré, par rapport à ce qui se passe dans d’autres espèces et il a absolument besoin de la présence de congénères adultes comme auxiliaire de toute une série de fonctions. Besoins corporels, de sécurité, dont il va progressivement se dégager. Besoin d’un autre pour penser. Besoin d’être aimé pour aimer à son tour. Mais avant cette étape finale, que serait la gratitude envers l’adulte, sa dépendance absolue n’a été rien d’autre qu’une relation passionnelle et dévorante…de vie.
L’amour crée une distance entre les pulsions aliénantes et dévorantes de l’enfant passionné et le corps altéré de l’adulte qui s’oublie au profit d’une réponse altruiste et donc apaisante pour l’enfant. Ce que, nous pouvons dire sans culpabilité, n’est pas toujours facile à tenir !

Si le corps de l’adulte, premier réceptacle de la pulsion dévorante de l’enfant est d’abord souffrance au sens de « suffere » la pulsion de décharge qui pourrait en être une réponse à son tour, s’interdit et se transforme en une réponse apaisante. C’est qu’il s’est opéré une sublimation de la tension haineuse en réponse d’amour. L’amour répondrait à une nouvelle définition : L’amour, c’est de la haine sublimée.

On peut donc supposer que la passion chez l’adulte, proviendrait d’un échec de la sublimation de la pulsion de haine, se refusant à se défaire de la jouissance qu’elle procure. A ce titre, Denis de Rougemont dans son ouvrage « l’amour et l’occident » édité en 1939, mérite d’être cité :
« J’ai voulu décrire la passion comme une entité historique, née dans un sang et dans des lieux déterminés sous les astres et dont le cours est calculable. J’ai cru cerné le secret du mythe, la découverte n’est pas négligeable, mais peut-on décrire la passion ? On ne décrit pas une forme d’existence sans y participer, sus même par une révolte contre la décision dont-elle est née. Et pour tout dire, j’ignore encore si cela peut avoir un sens, approuver ou rejeter la passion ? Combien serait vaine ma latitude intellectuelle qui se définirait elle-même comme une condamnation de la passion ? Il suffit pour apercevoir, que la passion quelle qu’elle soit, ne peut ou ne veut avoir raison, contre elle on a toujours raison, dès lors qu’on parle de raison. Car l’homme de la passion qui choisit d’être dans son tort aux yeux du monde, et c’est dans ce tort majeur, irrévocable, que signifie le choix de la mort, contre la vie. »
Ce choix de la mort, contre la vie est-il véritablement un choix ? Est-il possible de choisir entre la haine et l’amour ? et si cela est possible à l’homme, qu’a-t-il reçu dans son enfance pour pouvoir opérer ce choix ? et si cela lui est impossible alors, que n’a-t-il pas reçu ?

D’un point de vue « mythologique », on sait qu’Adam était un grand amoureux. Et comme tel, il n’avait de cesse de demander à Eve, pourquoi elle l’aimait ? Lassée de ces éternelles questions, un jour où elle s’était réveillée avec une humeur moins bonne qu’à ses habitudes, fini par lui répondre :
« Mais enfin, Adam… est-ce que j’avais le Choix ? »

Et pourtant, Eve se trompe… elle avait le choix. Elle pouvait aimer Adam, elle pouvait s’aimer elle-même, elle pouvait ne rien aimer du tout, ni Adam, ni elle-même, ni quoique ce soit d’autre.
Si Eve s’était aimée elle-même, si elle n’avait rien aimé du tout, serait-ce alors véritablement de l’amour ou du désamour, plutôt que de la passion ?
La passion serait donc une forme d’amour, captative, aliénante. Ce qui nous ramène à la distinction qu’effectuaient les scolastiques : amor concupiscentae et amor beneficentia.
D’un côté, l’amour égoïste, de l’autre l’amour oblatif. Ce qui nous permet donc de différencier ces deux formes d’amour serait la finalité de cet amour.
Est-ce que j’apporte le soin et l’apaisement à l’enfant pour recueillir sa passion et m’en valoriser à tel point que je fais mien ce petit être qui me devra à l’âge adulte allégeance et reconnaissance absolue afin de me donner tout ce que je n’ai pas eu ? amor concupiscentae amour de soi, amour pour soi.
Est-ce que j’apporte le soin et l’apaisement à l’enfant pour lui permettre d’être plus heureux dans la vie que je ne l’ai été moi-même et ne rien attendre en retour d’autre que son bonheur quel qu’il soit ? amor beneficentia. amour de la vie.

L’amor concupiscentae serait un amour de mort, mort de l’autre dans son désir. Une passion.

L’amor beneficentia, l’amour pour la vie en ce sens que la vie de l’autre ne m’appartient pas car ne m’appartenant pas, je lui laisse donc la vie.

Il est donc impossible de réduire à l’unité le sens du mot amour. Tâchons seulement de ne pas donner raison à Tolstoî, qui, dans De la vie, mériterait alors tout autant d’être cité :
« Les quatres-vingt-dix-neuf centièmes du mal parmi les hommes proviennent de ce faux sentiments qu’ils nomment l’amour, et qui ne ressemble pas plus à l’amour que la vie de l’animal ne ressemble à celle de l’homme ».

Stéphanie LACRUZ
Psychanalyste
46, Quai des Célestins
75004 Paris
01 41 50 37 97
therapies-complementaires.com



Rédigé le Vendredi 4 Octobre 2013 modifié le Vendredi 28 Octobre 2016
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