La «greffe mythique» en psychotraumatologie. HS18 de la Revue Hypnose & Thérapies Brèves: Le Psychotraumatisme.

Les chemins vers une nouvelle autonomie .
Hélène Dellucci.



Comment en huit étapes « greffer » sur les patients traumatisés des valeurs existentielles puisées chez des figures symboliques. L’objectif : « transférer » ces valeurs structurantes dans les liens familiaux et installer ainsi des ressources collectives pour soigner les blessures individuelles.

En Psychotraumatologie centrée compétences (1), nous avons proposé de conjuguer les interventions de psychotraumatologie classique à l’approche centrée compétences, notamment le modèle de Bruges (2)- (3), amenant ainsi une hiérarchie d’intervention précise, alliant sécurité, sécurité du lien et autonomie dans le lien d’attachement.
Sur le plan familial, Marie-Christine Cabié (4) a revisité le génogramme en proposant une démarche résolument solutionniste, rendant cet outil thérapeutique moins confrontant pour les patients traumatisés complexes, en ce qu’il permet d’explorer et d’installer avant tout des ressources sur le plan familial. Le génogramme permet d’interroger les liens familiaux, ainsi que les personnes-ressources, mais vise aussi à mettre à jour et à nommer des traumatisations familiales, voire transgénérationnelles, qui mériteraient d’être résolues.

Lorsque nous explorons les liens familiaux à travers le génogramme centré compétences, il arrive néanmoins que des patients peinent à nommer des ressources, malgré une recherche minutieuse. D’autres nous disent qu’ils ne savent rien de pans entiers de leur famille, comme si les traumatismes d’un autre temps avaient toujours leur effet sidérant sur la pensée et la capacité à ressentir des émotions positives. Marie-Christine Cabié (4) propose d’ajouter au génogramme centré compétences toute personne qui a été dans le passé ou qui agit dans le présent comme une ressource. Cette pratique a pour effet d’offrir un accès à des liens qui ont véhiculé des ressources importantes et qui permettent d’étoffer le système d’appartenance du patient et de s’inscrire dans une filiation de valeurs existentielles.

Un outil de stabilisation relationnelle qui nous a été fort utile est le recours à des figures symboliques (5), en ce qu’elles permettent d’installer des ressources pouvant répondre à des besoins archaïques et à des vulnérabilités d’attachement. Il est intéressant de noter que les figures symboliques ne mettent jamais le patient en conflit de loyauté, lorsque le thérapeute se réfère à cette figure soutenante pour explorer des pistes pour faire face à des événements de vie difficiles, des mises en danger, des relations dysfonctionnelles. Ce questionnement, étayé par un tiers utilisant le système de prendre soin de l’autre, permet au patient de continuer à penser, plutôt que de devoir réagir de manière défensive et protéger la relation avec la personne dont il se plaint, parfois un auteur de violences.

I. Utiliser les figures symboliques comme une ressource au service de la famille
Les figures symboliques, par opposition aux figures réelles, sont des êtres que nous ne rencontrons pas ou plus dans notre réalité quotidienne. Il peut s’agir de personnes ou d’animaux que nous avons connus dans le passé, et avec lesquels nous avons eu une bonne relation. Il peut s’agir de figures connues dans le monde ou dans l’histoire, à travers des contes ou des récits comme un personnage de roman, ou encore des personnes importantes mais que nous n’avons pas connues, comme un grand-parent. Parfois des personnes s’adressent à un végétal, comme un arbre, ou à une figure spirituelle. L’idée ici est d’avoir recours à une pensée en interaction avec un autrui qui peut représenter une ressource, ce qui aura pour effet d’activer notre système de prendre soin, un système d’action inné qui est très développé chez les humains.

Lorsque le patient peut accéder à cette ressource des figures symboliques, alors qu’il a peu accès à des ressources familiales, nous pouvons nous appuyer sur ces figures soutenantes afin de le mettre ou le remettre en lien avec des valeurs existentielles structurantes. Selon le concept de la « greffe mythique » emprunté à Robert Neuburger (6), nous allons tenter de « greffer » la valeur que le patient peut reconnaître à la figure symbolique pour la faire sienne, puis la mettre en lien avec un ou plusieurs membres de sa famille d’origine, même si dans le passé cette valeur n’a pas été mise en oeuvre concrètement. L’enjeu consiste en une redéfinition des liens permettant à ces valeurs de circuler, et ainsi respecter la loyauté du patient envers les siens, en dépit des traumatisations qui ont figé la lecture des relations.

Notre démarche va vers un recadrage propre à ce que proposait Neuburger (6), mais plutôt que de suggérer une intervention dont le contenu viendrait de notre part en tant que thérapeutes, notre démarche centrée compétences nous pousse plutôt à proposer un cadre dans lequel c’est le patient, en lien avec sa figue symbolique, qui va trouver lui-même le recadrage pertinent.
Cette démarche d’installation de ressources est accompagnée d’émotions, car au-delà de la dimension relationnelle du patient pour lui-même, les personnes rapportent qu’elles ont le sentiment de faire quelque chose d’important pour leur famille. Il s’agit donc bien d’une installation de ressources sur le plan familial ou communautaire, inscrivant le patient dans une filiation qui l’enracine dans des valeurs qu’il peut ressentir comme justes et structurantes. C’est ainsi que nous pouvons soutenir la recon - naissance de la contribution du patient au bien-être familial, ce qui va favoriser sa légitimité constructrice (7).

II. « La greffe mythique à l’aide de la figure symbolique », comment concrètement ?
Le processus de la greffe mythique à l’aide d’une figure symbolique passe à travers plusieurs étapes successives : celles allant de 1 à 4 font partie de la démarche classique d’installation d’une figure symbolique (1), les étapes 5 à 8 sont celles qui sont spécifiques à cet exercice de la greffe mythique à l’aide d’une figure symbolique. 1. Créer une représentation en choisissant une ou plusieurs figures symboliques. Pour trouver une figure, nous questionnons le patient : « Si vous aviez le choix, parmi les figures connues dans le monde, dans l’Histoire, ou bien dans un roman, un film, dans des mythes ou un conte, une personne que vous avez connue dans le passé… de qui auriez-vous aimé être accompagné ? » Cette invitation à rechercher le compagnon idéal se fait conformément à une induction hypnotique en utilisant le recours à l’imagination. Certains patients évoquent rapidement une ou plusieurs figures qui les inspirent. D’autres réagissent en nous apprenant, sobrement, qu’ils n’ont aucune confiance en les humains. Dans ce cas nous nous adaptons au patient, et nous proposons la recherche d’une figure animale : « Y aurait-il un animal qui pourrait vous soutenir ?… » Ici nous spécifions l’ouverture que le patient nous a laissée : « … pour cette question ?… pour ce besoin ?… pour votre demande ?… pour cette tâche ? ». Le fait de ramener la personne plus près du défi dont il est question peut faciliter l’accès à une représentation. D’autres patients nous apprennent lors de l’anamnèse qu’ils sont croyants. Dans ce cas, de manière ericksonienne, nous faisons « utilisa - tion » de cette ressource en recherchant une figure spirituelle. D’autres encore nous disent qu’ils sont sensibles aux arbres. Julie, 57 ans, nous a appris qu’elle est en lien avec un érable flamboyant, qui a reçu le quali - ficatif « d’érable survivant », en lien avec l’histoire de cet arbre. Nous notons chacune des figures évoquées et décrites.

2. Sondage des valeurs existentielles.
A partir du choix de la figure symbolique, nous explorons la dimension des valeurs existentielles en lien avec elle. Pour ce faire, nous en explorons les bonnes raisons : « Qu’est-ce qui a fait que vous avez choisi cette figure précisément ? » A travers cette recherche, nous recherchons les qualités que le patient prête à cette figure : « quelles sont des qualités que vous lui reconnaissez ? ». Les patients n’ont aucun mal à trouver les plus belles qualités à leurs figures symboliques, mais ils ne les mettent pas spontanément en lien avec leurs valeurs propres. C’est la tâche du thérapeute de faire cela. Pour chacune des qualités exprimées, nous la reformulons en valeur appartenant au patient en questionnant : « Estce que cette qualité est importante pour vous ? » Tous les patients répondent « oui » à cette question et ressentent une émotion intégrative, que nous accompagnons avec une respiration (2).
Une fois l’émotion apaisée, nous pouvons faire un pas de plus en recherchant avec le patient : « Y a-t-il un souvenir où vous avez pu vivre cette qualité ? » Passer du temps à rechercher et décrire ce souvenir fonctionne comme une installation de ressources fondamentales. Nous faisons cette démarche de recherche et d’installation de ressources pour chaque figure symbolique choisie.

3. Créer un dialogue avec la figure symbolique.
Au-delà de la définition de valeurs existentielles, nous installons un dialogue avec cette figure, en explorant : « Si… (nommer la figure symbolique) était à côté de vous, que pourrait-il/elle vous dire pour vous soute - nir ? » Ce que dit la figure symbolique suscite non seulement un réconfort immédiat, mais a une valeur décuplée par rapport à tout ce que pourrait proposer un thérapeute, même si ce dernier a déjà exprimé des formulations analogues. Cette réponse, qui peut susciter des émotions, est accompagnée par des respirations lentes jusqu’à ce que le corps s’apaise.

4. Demander conseil à la figure symbolique.
Une fois un dialogue établi, nous pouvons faire un pas de plus en invitant le patient à demander conseil à la figure symbolique, en lien avec une situation difficile : « Si vous pensez à une situation pour laquelle vous aimeriez un conseil, une aide, que… (veuillez nommer la figure symbolique) vous dirait-elle/il pour vous soutenir ? » Julie, en s’appuyant sur son érable survivant, évoque son conseil : « Il ne faut pas lâcher, il faut être persévérante, de ne pas avoir peur, de s’appuyer sur son essence, sur l’énergie de la terre, du ciel, de la lumière, de ne pas oublier que l’on n’est pas seul. » Un tel soutien s’est avéré être un contraste précieux par rapport l’expérience de la patiente.

5. Rechercher une personne dans le génogramme en lien avec la valeur existentielle.
Nous revenons à la valeur existentielle et nous posons la question au patient : « Qui dans votre famille aurait pu incarner ou défendre cette valeur, s’il ou elle en avait eu la possibilité ? » La formulation est volontairement faite au conditionnel, car dans la perception du patient les événements ne se sont pas passés ainsi. Cependant, proposer une ouverture vers ce qui aurait pu être possible s’il n’y avait pas eu d’entrave est une invitation à imaginer au- delà des barrières d’une réalité éprouvée difficilement. Nous ne faisons pas de suggestion de personne. C’est le patient, ou son inconscient, qui trouve le membre de sa famille, ce qui ne manque pas de le surprendre dans la plupart des cas. Il s’agit souvent d’un ascendant. Nous accompagnons l’émotion émergente avec des respirations lentes.

6. Permettre le transfert de la valeur existentielle de la figure symbolique à la personne de la famille.
A l’instar du dialogue qui a eu lieu pour le patient, nous l’invitons à imaginer comment la figure symbolique soutient le membre de la famille à incarner la valeur choisie. Souvent cela passe par un dialogue, parfois il s’agit d’actions. Généralement un processus imaginaire se met en place, accompagné de nombreuses émotions intégratives. Nous cheminons avec le patient au sein de ce processus avec des respirations lentes.

7. Transmission de la valeur existentielle à des descendants.
Une fois qu’un lien vivant a pu avoir lieu avec la personne de la famille et la figure symbolique, que la valeur existentielle a été installée avec succès pour un ascendant, nous proposons la transmission de celle-ci à d’autres personnes en explorant : « Qui d’autre dans votre famille pourrait profiter également de cette valeur importante ? » Même si la question ne le mentionne pas explicitement, notre démarche est de favoriser la transmission de la valeur vers des descendants. Il arrive régulièrement que le patient mentionne un membre de sa fratrie, ou un parent. Nous acceptons cette étape, en questionnant comme l’ascendant et la figure symbolique soutiennent cette personne, en accompagnant les réponses par des respirations lentes. Dans ce dernier cas, nous reposons la question de la transmission, jusqu’à ce que la personne puisse mentionner un descendant. Pour ceux qui n’ont pas d’enfants, cette transmission peut se faire à des neveux, des nièces, des filleuls, mais aussi des élèves, des usagers, des patients, ou bien « le monde ». L’émotion émergente est toujours accom - pagnée par des respirations lentes.


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HÉLÈNE DELLUCCI
Docteur en psychologie, psychothérapeute reconnue au niveau fédéral d’orientation systémique et formatrice EMDR Europe. Elle travaille en cabinet privé à Genève avec des personnes traumatisées complexes et leurs familles. Elle intervient en tant que superviseure et formatrice en approches centrées compétences et en psychotraumatologie. Chargée de cours à l’université Lorraine (France) et à La Trobe University (Australie).


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Rédigé le Samedi 30 Mars 2024 modifié le Samedi 29 Juin 2024
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Vice-Président de France EMDR-IMO ® Président du Collège d'Hypnose et Thérapies Intégratives… En savoir plus sur cet auteur



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