La relation au coeur de la psychothérapie.

APPORT DU QUESTIONNEMENT DE REMEMBERING.
Charlotte THOUVENOT pour la Revue Hypnose et Thérapies Brèves 74.
Conversations en échafaudage et carte du remembering sont décrites dans ce texte comme des atouts pour redonner sens à l’existence de personnes en souffrance. En se construisant une autonomie relationnelle, elles peuvent sortir de la dépendance aux autres et du monde de la maladie.



« Toute la psychopathologie peut être pensée comme l’expression de cette contradiction : soit il y a une relation et pas d’autonomie, et nous sommes dans le monde de la maltraitance, le sujet étant réduit à un objet, soit nous sommes dans un monde où l’autonomie est pensée sans relation possible, et nous avons le monde abandonnique ».

La carte du remembering permet de travailler les relations en psychothérapie et contribue à la construction de l’autonomie relationnelle du patient, autonomie relationnelle qui lui permettra de sortir du monde de la pathologie. La carte du remembering, ou conversation de regroupement, est issue des pratiques narratives de Michael White. Ces cartes permettent, lorsque la personne est en souffrance, de déployer le discours pour redonner du sens à des parties de vie inexplorées par la personne. Ces parties de vie sont inexplorées car elles tombent à côté des croyances de la personne qu’elle a sur le monde ou sur elle-même. Une fois la lumière mise sur ces parties de vie inexplorées, alors la personne va pouvoir reprendre de l’initiative dans sa vie, et être l’auteur de sa vie.

CAS CLINIQUE 1

Une femme de 25 ans, diagnostiquée schizophrène il y a dix ans, vient consulter parce qu’elle pense que tout le monde lui veut du mal (pensées paranoïaques qu’elle critique), ce qui entraîne de l’agressivité verbale avec les autres alors qu’elle sent avoir besoin de relations pour se sentir en sécurité. Elle souhaite réussir à être mieux en relation, plus sereine. Sa pathologie est bien équilibrée, elle a conscience et une bonne connaissance des difficultés liées à la schizophrénie, elle a un poste aménagé au travail.
- Thérapeute (a) : « Avez-vous récemment quelqu’un dans votre entourage personnel ou professionnel qui vous a aidée spontanément ?
- Patiente : Oui, j’ai une collègue, lorsque j’ai changé de poste.
- Th. : Pouvez-vous m’en dire plus sur la manière dont elle vous a aidée ?
- P. : Elle a pris pas mal de temps à m’expliquer, à répéter et elle revenait même me voir pour savoir si j’arrivais bien.
- Th. (b) : Est-ce qu’elle aide tout le monde de la même manière ?
- P. : C’est vrai qu’elle aime bien aider, mais certaines personnes elle leur apprend et ne retourne pas les voir. Elle passe même moins de temps. C’est vrai, elle m’a aidée différemment.
- Th. : A votre avis, qu’est-ce qu’elle a vu en vous qui a fait cette différence ?
- P. : En fait elle vient souvent vers moi, depuis le midi nous avons de plus en plus mangé ensemble et elle m’a dit qu’elle appréciait mon caractère, que j’étais drôle, que je la fais souvent rire et ça la détend.
- Th. (c) : Et à votre avis, qu’est-ce que cela lui a fait que vous acceptiez son aide ainsi, ses moments où elle vient vers vous ?
- P. : Ça lui fait plaisir.
- Th. (d) : Vous pensez que ça renforce certaines choses auxquelles elle porte de la valeur dans sa vie ?
- P. : Oui, la solidarité. Elle m’a déjà raconté que c’était important pour elle de se soutenir les uns les autres, de soutenir les personnes qu’on apprécie, parce que ça permet de traverser les difficultés plus facilement. Elle sait de quoi elle parle car elle en a traversé des difficultés. »

DESCRIPTION DES CONVERSATIONS EN ÉCHAFAUDAGE ET REMEMBERING

Dans son livre Cartes des pratiques narratives, Michael White décrit « les conversations en échafaudage » qui, à mon sens, constituent la toile de fond de chaque carte narrative. C’est cette manière de questionner qui va permettre de dégager les intentions et les valeurs de la personne, c’est-à-dire qui est la personne à partir de ce qu’elle vit et comment elle le vit. Michael White distingue cinq niveaux qu’il gradue du plus bas (niveau 1) au plus haut (niveau 5) niveau de distanciation. Le mot « distanciation » est à prendre au sens d’abstraction, de capacités métacognitives, associatives et d’imagination (capacités à se projeter dans le futur). Avoir les informations du niveau inférieur est nécessaire pour faciliter cette distanciation et permettre d’accéder à l’implicite, à ce qui est latent, dans l’événement et qui est mis en lumière lors de l’entretien, d’où le terme d’« échafaudage ». L’obtention d’une description riche et fine d’un événement permet de sortir des discours naturalistes et familiers pour favoriser l’attribution de nouvelle(s) signification(s) à l’événement (bas niveau de distanciation, niveau 1). De ces nouvelles significations pourront émaner d’autres événements spécifiques qui seront en lien avec le premier, il sera donc possible de les catégoriser en fonction de leurs caractéristiques communes ou divergentes (niveau moyen de distanciation, niveau 2).

Ce tissage d’événements réalisé à partir des similitudes et des différences permettra une prise de conscience globale qui a un sens spécifique et incarné pour la personne du fait des questions précédentes (niveau moyen-haut de distanciation, niveau 3). C’est de cette prise de conscience que la personne va pouvoir déduire des conclusions identitaires qui lui conviennent et se raconter une histoire qu’il préfère (haut niveau de distanciation, niveau 4), pour enfin élaborer des manières d’agir en accord avec cette histoire préférée (très haut niveau de distanciation, niveau 5). Michael White a été inspiré par le travail de Lev Vygotski, dans le sens où, par cette construction en échafaudage des conversations, le thérapeute amène peu à peu le patient à faire de nouveaux apprentissages.

Ce que Lev Vygotski nomme la « la zone proximale de développement ». Nous allons plus particulièrement nous intéresser à la carte du remembering, au regard de cette construction en échafaudage, pour focaliser sur ce que la composante relationnelle peut nous apporter en psychothérapie. Les quatre étapes de la carte du remembering à propos d’une personne ressource (PR) se composent ainsi : a. les actions de la PR dans la vie du patient, comment PR contribue/a contribué à la vie du patient ; b. ce que PR reconnaît de l’identité du patient pour agir ainsi ; c. comment le patient a agi face à cette(ces) contribution(s) de la PR dans sa vie ; d. quel aspect de l’identité de la PR cela vien-til renforcer.

RECOUPEMENT THÉORIE ET PRATIQUE

Nous voyons que les deux premières questions (« avez-vous récemment quelqu’un dans votre entourage personnel ou professionnel qui vous a aidée spontanément ? » et « pouvez- vous m’en dire plus sur la manière dont elle vous a aidée ? ») permettent d’avoir une description du contexte (qui pourrait encore être plus détaillé), ce qui correspond au niveau 1 de l’« échafaudage ». La question « est-ce qu’elle aide tout le monde de la même manière ? » permet d’ouvrir une nouvelle signification. Elle est discriminante (discrimine comment PR agit avec la patiente vs les autres) et essentielle pour que ce soit une relation particulière (niveau 2).

La question amène même spontanément à d’autres événements, et si cela n’avait pas été le cas alors des questions auraient pu être posées pour apporter plus de consistance à cette relation particulière (également niveau 2). De cela la patiente va pouvoir prendre conscience de pourquoi cette personne agit de la sorte et l’attribution n’est pas naturaliste –parce qu’elle gentille – mais intentionnelle – parce qu’elle reconnaît et apprécie quelque chose en moi (niveau 3, étapes a et b du remembering). Des détours pourraient être faits pour explorer d’autres horizons : quand cette identité préférée s’exprime- t-elle ? est-ce que d’autres personnes reconnaissent cette identité qui lui est préférée ? a-t-elle des histoires à nous raconter lorsque cette identité préférée s’exprime et ce qu’elle ressent, ce que cela rend possible ? (niveau 4), pour ensuite questionner ce que cela rend possible dans le futur d’être connectée à cette identité préférée (niveau 5).

Revenons à la carte du remembering car la suite (c) est très importante pour que la patiente puisse ressentir la réciprocité des relations. En effet, elle n’est pas qu’une personne qui reçoit un service mais une personne qui contribue à la vie de la PR, dans le sens où accepter ce service permet à la PR de continuer à se définir. C’est accéder à une nouvelle signification (retour au niveau 2) qui va être épaissie lors de la dernière étape de la carte du remembering (d). Suite de l’entretien...

- Th. : « Donc si je comprends bien, en acceptant son aide vous renforcez sa valeur de solidarité ?
- P. : Je n’avais jamais vu les choses comme ça, mais c’est exact.
- Th. : Qu’est-ce que cela vous fait de voir les choses comme ça ?
- P. : Je me dis que c’est une relation sur qui je peux compter, et que je suis contente de pouvoir avoir cette place dans sa vie. Ça me donne de l’espoir pour d’autres relations.
- Th. : Et comment vous pourriez repérer ce genre de relation quand elle se présente ?... » Et un échange se poursuit en faveur des signes évocateurs de ce type de relation bilatérale. Cette question va permettre de tisser avec d’autres événements en faveur des signes évocateurs de ce type de relation bilatérale (niveau 3), ce qui va lui permettre de devenir plus experte à juger si elle est dans une relation menaçante ou non (niveau 4). De là est déconstruite cette histoire dominante qui s’imposait, « les autres me veulent du mal », en une histoire préférée de type « je peux avoir des relations sereines ». Puis les questions de niveau 5 sont ensuite explorées. Pour ancrer le niveau 5, ce schéma lui a été proposé pour qu’elle pense qu’à chaque fois qu’elle accepte l’aide de quelqu’un, ça lui fait plaisir (sourire sur le dessin), elle permet aussi à cette personne de renforcer une part d’elle qui lui est chère (coeur sur le dessin). Ainsi, plutôt que de se positionner dans une relation duelle où l’autre est menaçant, elle acquiert la capacité de se mettre dans un monde où les relations sont collaboratives. Je la revois un mois plus tard : sa relation avec cette collègue s’est renforcée, j’apprends que la relation avec son copain s’est apaisée (ce dont elle ne m’avait pas parlé au début, et la relation était mise à mal par ses pensées qu’il puisse aller voir ailleurs, lui faire du mal...) et elle a réussi à entrer en relation avec de nouvelles personnes sans que cela active d’angoisse liée à la paranoïa. Elle a repris le raisonnement que nous avions eu et elle se laisse le temps de décider si c’est une relation où il y a de la réciprocité. Elle a mis fin à son suivi parce qu’elle sentait avoir avancé et être bien dans ses relations aux autres, en ayant fait la part des choses entre une saine méfiance et une paranoïa abusive.

DÉTOUR EN POSITION DÉCENTRÉE INFLUENTE

Les conversations basées sur la pratique narrative permettent de rendre visible l’invisible dans le sens où une lecture intentionnelle est faite de faits qui ont été banalisés comme normaux. Cette lecture permet à la personne de se positionner dans sa vie dans les valeurs qui lui sont chères et de retrouver une certaine initiative perdue. Ceci est également possible par la posture du thérapeute qui est nommée « décentrée influente ». Michael White prend l’analogie d’un journaliste d’expertise. La position est décentrée (en tant que thérapeute) de ses croyances, ses représentations mentales, sa culture... car centrée sur celles du patient. Et influente car c’est le thérapeute, qui par le choix de ses questions, va choisir de s’orienter vers l’exploration de tel ou tel territoire de la vie de la personne mise dans l’ombre.

CONSTRUIRE L’IDENTITÉ FAVORITE DU PATIENT À TRAVERS LE REGARD DE L’AUTRE

Dans le cadre de la dépression, l’identité de la personne peut être saturée par une histoire dominante qu’elle se raconte à elle-même (« je suis nul.le », « je rate tout », « je n’ai pas de valeur »...) pour diverses raisons (maltraitance, carence affective...). Les voix de la dépression amènent de la dévalorisation. Comment une personne peut-elle sortir de cette conclusion identitaire négative alors qu’elle entend chaque jour, de son intérieur, les voix de la dépression ? Le détour de la relation, quand elle est présente, va permettre de contribuer à la déconstruction de cette conclusion identitaire négative. La carte du remembering utilisée dans ce cas nécessite un préalable : qu’il existe des relations sécures. S’il n’y a pas de relations sécures, alors elles sont à rechercher ou à construire comme vu plus haut.

CAS CLINIQUE 2

Hélène est une femme de 39 ans qui a été brutalement frappée par la dépression il y a trois ans. Elle se dit en dépression depuis vingt ans, mais avant elle arrivait à être le boute-en- train de ses amis et à assurer au travail. Elle est célibataire et n’a pas d’enfant. Il y a des antécédents de viol dans l’enfance….


Pour lire la suite...


Charlotte Thouvenot


Commandez la Revue Hypnose & Thérapies brèves n°74 version Papier

La puissance thérapeutique de la relation humaine

Julien Betbèze, rédacteur en chef, nous présente ce n°74 :

Si la prise en compte du corps relationnel est au centre des changements en thérapie, cela implique pour le thérapeute d’être attentif au contexte relationnel favorisant les processus dissociatifs. Et pour favoriser les processus de réassociation, le thérapeute doit être en capacité de modifier les interactions qui entretiennent le problème.
. Nathalie Koralnik, dans un texte clair et pédagogique, nous montre comment la prescription du symptôme permet à des parents consultant pour des problèmes récurrents, avec une escalade symétrique de disputes et de crises, de retrouver une relation éducative positive, les parents pouvant s’investir dans un rôle de co-thérapeutes. L’approche stratégique, lorsqu’elle est pensée de manière coopérative, est vraiment un outil de choix pour sortir des impasses relationnelles.

. Delphine Le Gris nous parle de Mélanie, une jeune femme en grande souffrance après une rupture sentimentale où la relation de couple était depuis longtemps perçue comme maltraitante. En s’immergeant dans l’histoire de sa patiente, l’image de la mer et de l’eau est apparue, avec des vagues réparatrices permettant de retrouver les ressources enfuies et de rendre possible l’oubli des relations difficiles emportées au large. Nous voyons ainsi l’importance pour le thérapeute de se connecter à l’histoire racontée par le sujet pour ouvrir un imaginaire partagé, dans lequel la vie relationnelle va reprendre sa place.

. Michel Dumas évoque l’histoire de Stéphanie, confrontée à la déliquescence de la relation avec son mari qui, le plus souvent, met en scène sa tristesse et se réfugie devant son téléviseur. Elle ne parvient pas à aborder avec son conjoint cette situation où elle se sent de moins en moins aimée, car elle a peur d’un conflit qui provoquerait les conséquences qu’elle redoute. Après un recadrage : « si tu fais l’agneau, tu trouveras le loup qui te mangera », le thérapeute prescrit trois tâches stratégiques possibles pour sortir de ce cercle vicieux relationnel.

. Jérémie Roos nous raconte comment la situation bloquée de Zohra, attaquée par un chien, a pu évoluer grâce au sous-main de son bureau utilisé comme une scène imaginaire. Celle-ci permettra l’émergence de nouvelles formes relationnelles, ouvrant de nouveaux possibles grâce au soutien de la relation thérapeutique.

. Gérard Ostermann nous présente la synthèse effectuée par Michel Ruel, à partir du travail de la CFHTB, sur l’utilisation de l’hypnose pour faire face à la souffrance au travail. Il rappelle l’importance de différencier le pré-effondrement de l’effondrement dans ces prises en charge. L’illustration clinique de la situation inquiétante d’un cadre d’entreprise subissant un début de désocialisation met en évidence l’intérêt du travail avec les métaphores pour retrouver des objectifs atteignables.

. Morgane Monnier, quant à elle, nous présente l’intérêt de l’hypnose et des thérapies brèves pour améliorer les prises en charge en psychomotricité.Dans le dossier thématique « Thérapie et relation »,

. Géraldine Garon et Solen Montanari mettent en lumière la puissance thérapeutique de la relation humaine lorsque le thérapeute et le patient entrent dans un processus de co-construction par un travail de questionnement permettant l’émergence d’un imaginaire partagé. Elles montrent, à travers les situations de Lou (qui se plaint de tics) et de Mathilde (présentant un excès de poids), comment l’externalisation nourrit le processus thérapeutique en favorisant l’accordage. Cet article décrit très bien l’apport de la TLMR à la mobilisation des ressources et au repositionnement du sujet.
A partir de trois situations cliniques, Charlotte Thouvenot décrit avec précision l’importance de la carte du remembering pour retrouver une relation vivante et faire l’expérience de l’estime de soi.

. Olivier de Palézieux développe une meilleure compréhension du concept d’empathie, au centre de la relation. Pour cela, il en décrit l’historique et les variations de sens. Il illustre l’intérêt de sa réflexion à propos du cas de Lucas présentant un TSA (trouble du spectre autistique).

Vous retrouverez la chronique de Sophie Cohen sur une première consultation autour de la détresse conjugale et des réseaux sociaux, celle de Sylvie Le Pelletier-Beaufond « Passer les portes secrètes et apaiser les craintes ». Tandis que Stefano Colombo et Muhuc vous feront découvrir ce qui peut se cacher derrière la « peur du conflit ».



Rédigé le Mercredi 16 Avril 2025 modifié le Mercredi 16 Avril 2025
Lu 26 fois

Vice-Président de France EMDR-IMO ® Président du Collège d'Hypnose et Thérapies Intégratives… En savoir plus sur cet auteur



Dans la même rubrique :