Papa, maman, le psy et moi. Comprendre le travail transgénérationnel.

Coup de projecteur sur la pratique d’un pédopsychiatre qui redéfinit les rôles en faisant d’un « enfant-problème » un « enfant-éclaireur » pour ses parents.



Plaisir d’offrir. © Sandra Balsamo (photo © Michel Hidalgo/Samithami)
Je vais vous présenter sous la forme d’un sketch théâtral une vignette clinique de ma pratique quotidienne de pédopsychiatre spécialisé en hypnose ericksonienne, thérapies brèves et approche systémique familiale et institutionnelle. Mon but est de rendre compte de comment l’utilisation combinée de ces approches peut nous permettre d’élucider une problématique transgénérationnelle et de travailler dessus, avec les parents, en « utilisant » l’enfant comme un baromètre qui indique le fonctionnement transgénérationnel générateur de symptômes chez l’enfant. Cette vignette clinique est extraite de mon livre Les leviers du changement : Un thérapeute bref en scène, paru chez Enrick B Editions en août 2019. J’ai choisi la forme théâtrale afin de rendre la présentation plus vivante. VIGNETTE CLINIQUE

Personnages, : le psy, un garçonnet et ses parents.

Un garçonnet de 6 ans rentre dans le bureau du psy, assez agité, suivi par ses deux parents. Il s’assoit promptement entre eux, d’un geste qui donne la sensation qu’il cherche à les séparer.

- Le psy : « Bonjour ! Je vois que tu as pris une sacrée place, mon petit, pile-poil entre papa et maman ! Le garçonnet sourit d’un air malicieux.

- Le père : Oh, si vous saviez ! C’est tout le temps comme ça. On n’a plus d’intimité, on n’arrive plus à discuter entre nous, il est là tout le temps, entre nous, à nous couper l’un de l’autre... (il désigne sa compagne).

- La mère : Par contre, monsieur prétend qu’il est grand ! (en désignant le petit). Il veut décider de tout, du haut de ses 6 ans ! Eh bien, si c’est comme ça, pourquoi es-tu toujours collé à nous ? Incapable de jouer dix minutes tout seul dans ta chambre, de lacer tes chaussures, de t’habiller, de ranger tes jouets ? Hein ? Le petit fronce les sourcils et mime le geste de donner un coup de pied à sa mère.

- Le père : Ah ! vous voyez ce qu’il fait ? Je suis content qu’il le fasse, là, devant vous, pour que vous voyiez son vrai visage ! Comme on est ici, je n’interviens pas, mais si on était à la maison, il aurait eu une grosse fessée, tout de suite. Le petit regarde son père d’un air furieux, bougonne quelque chose d’incompréhensible puis lui tire la langue d’un coup rapide.

- Le père (perdant son calme et hurlant) : Attention à ce que tu fais ! Si tu recommences une seule fois, même si on est là, devant le monsieur, tu auras une grosse fessée !

- Le psy (d’un air naïf) : Hmm... Et c’est comme ça tous les jours, chez vous ?

- Les parents (d’une seule voix) : C’est tous les jours, plusieurs fois par jour ! Et là, ce que vous voyez n’est rien par rapport à ce qu’on vit tous au quotidien.

- Le psy : Et c’est depuis quand, tout ça, si vous pouvez préciser un peu ?

- La mère : Eh bien, moi je trouve que c’est depuis qu’il a découvert la marche... Vers douze mois je crois... Douze ou treize mois.

- Le psy : Et vous faites un lien avec l’acquisition de la marche ?


- La mère : Je ne sais pas, je ne me suis pas posé la question... Peut-être qu’il a aimé être indépendant en apprenant à marcher, et il s’est lâché. Car ce besoin d’être indépendant, franchement, il l’a depuis cet âge. On a l’impression d’avoir un ado à la maison depuis qu’il a 3 ans !

- Le père : C’est tout à fait vrai, ce que dit ma femme. Un ado qui fait ses crises d’ado tous les jours. (Puis, se tournant vers son fils :) Ose dire que ce n’est pas vrai ! Le garçonnet marmonne de nouveau quelque chose d’incompréhensible et donne le sentiment qu’il se contient à peine.

- La mère : Ah, je me souviens de quelque chose d’autre à propos de votre question : quand sa petite soeur est née, ça a été terrible ! Ça s’est multiplié par mille, ce comportement... comment dire ? turbulent ! Je sais qu’il y a l’histoire de la jalousie fraternelle, comme chez tout le monde, mais chez lui tout est démultiplié.

- Le psy : Il avait quel âge lors de la naissance de sa petite soeur ?

- La mère : Deux ans. Et depuis c’est toujours la guerre entre eux. Il ne la supporte pas. Sans compter qu’il la tape souvent, pour rien et méchamment !

- Le garçonnet (irrité) : C’est elle qui commence !

- Le père : Oui, oui, c’est ça, c’est toujours elle d’après toi ! Toi, jamais, t’es sage comme une image, c’est ça ? Même quand tu nous pourris la vie ?

- Le garçonnet : J’en ai marre ! Pourquoi vous m’avez fait ? » Cette réplique et le ton grave sur lequel elle est prononcée sidèrent un peu tout le monde. Le psy, pris par toutes ces émotions violentes, semble en proie à un bug. Il plonge alors à l’intérieur de son espace interne à la recherche des scénarios qui viennent en boucle, puis observe soudainement un changement de posture chez le garçon... Le visage du garçonnet, devant ce silence sidéré, s’assombrit. Il s’enfonce dans sa chaise, comme s’il se liquéfiait, et regarde sa mère. Celle-ci a le réflexe d’approcher sa chaise de la sienne et de le consoler. Le garçonnet se laisse faire et se met sur ses genoux. La mère est dans l’acceptation. Le visage du psy s’éclaire.

- Le psy : « Hmm... Tout cela me donne une idée... Puis-je me permettre de vous faire faire un petit travail censé vous aider tous, là, maintenant ? Le trio le regarde, légèrement étonné, et ils font tous oui de la tête. Le psy les installe de la façon suivante, en veillant à ce que cela soit bien accepté par tous : le garçonnet sur les genoux de sa mère, à califourchon contre elle, le père assis à côté de la mère, en tant que tiers validant. Le psy va ensuite provoquer une transe hypnotique fractionnée, en invitant le garçonnet d’imaginer qu’il devient de plus en plus petit, jusqu’à se retrouver dans le ventre de sa mère, et la mère d’imaginer la même chose, et en utilisant le tapping alternatif sur les épaules (comme dans la technique du docteur Eric Bardot, psychiatre et pédopsychiatre, concepteur de l’HTSMA). Et il demande au père d’accompagner la mère pendant ce processus, en touchant son épaule d’une main. Puis, après avoir accompagné de sa voix et du tapping alternatif, tantôt sur les épaules de la mère, tantôt sur celles de l’enfant, le psy attend un peu. Il voit que les trois semblent être entrés dans la transe hypnotique à visée thérapeutique, puis s’aperçoit que des larmes se mettent à couler sur les joues du père.

- Le psy (d’une voix lente et douce) : Lorsque le petit enfant aura profité pleinement de cette connexion bienfaisante avec maman, et sa maman aussi, et que le papa pourra émerger de son état et des souvenirs qui sont venus, je demanderai à tout le monde de prendre une bonne inspiration, avant de pouvoir ouvrir les yeux, en prenant tout le temps qu’il faut... Revenez dans cette pièce, là, maintenant. » Les trois inspirent profondément puis ouvrent les yeux, tout doucement. Le garçonnet regarde sa mère dans les yeux et, constatant qu’elle lui sourit, il l’embrasse. Le père a encore des larmes sur ses joues.

- Le psy (s’adressant au père) : « Cher monsieur, pouvez-vous dire, en quelques mots, ce qui s’est passé pour vous, à l’intérieur ? S’il vous plaît ?

- Le père (un peu gêné et hésitant) : Eh bien… J’ai revu plein de souvenirs avec ma femme et moi, quand nous étions un jeune couple. Avant d’avoir les enfants. C’était tellement merveilleux... J’étais en plein dans notre voyage de noces, les voyages en bateau, en moto... les randonnées... les soirées dansantes... Et puis je l’ai revue enceinte, avec notre fils... J’avoue que ça a été dur pour moi, de me dire : punaise, on va être trois... On ne sera plus tous les deux, en amoureux... J’avais peur de la perdre.

- Le psy (s’adressant à la mère) : Madame ? Vous étiez au courant de ce grand amour, toujours présent, de votre époux pour vous ?

- La mère (paraissant à la fois agréablement surprise et gênée par rapport à la présence de leur fils) : Oui... Je sais qu’il m’aime. Mais je te rappelle, chéri, que nos enfants, nous les avons désirés, tous les deux !


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BOGDAN PAVLOVICI Pédopsychiatre, praticien hospitalier. Psychothérapeute familial et de réseau, thérapies brèves, hypnose ericksonienne, HTSMA. Service CHU de psychiatrie infanto-juvénile du professeur Mario Speranza, Centre hospitalier de Versailles.

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Revue Hypnose & Thérapies Brèves n°60
Février Mars Avril 2021

Dossier : Les techniques de Rossi
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La poésie, une alliée hypnotique. Pour se séparer de ce qui nous fait souffrir. Nicolas d’Inca

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Edito : Douleur ou souffrance ? Gérard Ostermann

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Livres en bouche



Rédigé le Dimanche 2 Mai 2021 modifié le Dimanche 2 Mai 2021
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Présidente de France EMDR-IMO ®, Dirige le Cabinet d'Hypnose, EMDR-IMO de Marseille. Présidente… En savoir plus sur cet auteur



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