Prise en charge de l’anorexie mentale. Nutrition, psychothérapie et kinésithérapie, un trio contributif

Cyprien Boulc'h .
Kinésithérapeute, l’auteur nous fait partager son expérience de huit années de travail sur les troubles du comportement alimentaire, auprès de jeunes filles et jeunes femmes, en collaboration avec un médecin nutritionniste et un psychiatre.
Hors-Série Revue Hypnose et Thérapies Brèves 17.



Introduction

Selon la Haute Autorité de santé (HAS), on appelle troubles du comportement alimentaire (TCA) les conduites alimentaires différentes de celles habituellement adoptées par des individus placés dans un même environnement nutritionnel et socioculturel, induisant des troubles somatiques et psychologiques. Ce document traitera de cas d’anorexie mentaletouchantà90%desjeunesfillesoufemmes.L’anorexiementale se définit comme un trouble du comportement visant à contrôler le poids, qui altère de façon significative la santé physique comme l’adaptation psychosociale, sans être pour autant secondaire à une affection médicale ou autre trouble psychiatrique.

Il est difficile de trouver un élément déclencheur aux troubles du comportement alimentaire. En général ils sont pris en charge tardivement, après une mise en place insidieuse liée à un malaise profond non identifié par la patiente elle-même. Selon les recommandations de l’HAS, la prise en charge des patientes présentant des troubles du comportement alimentaire se décline selon trois volets indispensables à la réussite de la thérapie.

- Une prise en charge nutritionnelle ayant pour objectif de cadrer les paramètres vitaux mis à mal lors des différentes pathologies de type anorexie/boulimie.

- Une prise en charge psychiatrique sous forme de thérapie individuelle glissant généralement vers une thérapie du « système famille » souvent perturbé.

- Une prise en charge en kinésithérapie ayant pour objectif de réconcilier la patiente avec son corps. Les patientes y sont indiquées sur prescription de rééducation du schéma corporel par les médecins nutritionnistes et psychiatres.

La prise en charge, qui concerne principalement des jeunes filles/femmes, commence par un bilan ayant pour objectif d’identifier les troubles que présente la patiente, les douleurs éventuelles et surtout d’établir un dialogue par un travail d’équipe entre les différents professionnels et la patiente.


Il permet ainsi de placer la patiente dans son système socio-familial et de définir avec elle les objectifs de son accomplissement personnel. La prescription de rééducation en kinésithérapie a tendance à déstabiliser les patientes ; elles ont du mal à visualiser les objectifs à atteindre.

I. L’anesthésie, centre de la problématique

Au début de la prise en charge, le corps de la patiente vient de se modifier rapidement avec une perte importante de poids et des formes féminines. Elle est alors anesthésiée. Cette absence de sensations se caractérise par un refroidissement physique et social. Sur le plan physique, on peut relever une absence des sensations agréables, associée à un froid intense quasi permanent. L’anesthésie est mise en relief par une difficulté de la patiente à bouger, à se rééquilibrer, à appréhender l’espace autour d’elle. Elle peut se cogner fréquemment et présenter des difficultés à se positionner dans un espace.

Lors de la marche, la patiente a perdu la dissociation des ceintures, avec une perte de mobilité globale au niveau du bassin. Cette démarche est alors moins féminine. De plus, la patiente délaisse son corps, n’en prend plus soin (plus de maquillage, plus de crème pour réhydrater la peau). Elle cherche alors à se cacher en portant des vêtements amples, en multicouche. La patiente n’a pas toujours conscience de ces modifications. Ayant du mal à se regarder dans le miroir, elle développe une vision déformée d’elle-même, on parle alors de dysmorphophobie.

Sur le plan social, l’anesthésie se caractérise par un isolement progressif de l’entourage amical ; une diminution et/ou une abolition des envies. La difficulté à se poser autour d’éléments culturels appréciés avant la maladie (lecture plaisir, musique, dessin, sport loisir, cinéma...) en est le premier signe. En prétextant une fatigue, la patiente ne se permet plus de réaliser des activités avec ses ami(e)s permettant de passer un « moment agréable ». Cette fatigue est à contrebalancer avec l’hyperactivité physique et/ou intellectuelle qui ont pour finalité la perte de calories et/ou le travail productif. Lors des temps d’échange avec la patiente, le praticien peut l’inciter à ne pas négliger les temps passés avec ses ami(e)s afin de retrouver ses envies. Cette anesthésie pourrait se résumer ainsi : « Au travers de la maladie la patiente ne se permet plus de ressentir. »

... réaliser des exercices dans un cadre contrôlé permet de prévenir des éventuels troubles musculo-squelettiques...

1. La relation de confiance soignant/patiente

Il est tout d’abord nécessaire de gagner la confiance de la patiente afin de progresser. Le fait de se positionner à un niveau physiologique permet d’insister sur le caractère préventif et indispensable du soin physique. En effet, réaliser des exercices dans un cadre contrôlé permet de prévenir des éventuels troubles musculo-squelettiques, des soucis de posture (déformation en cyphose) et de diminuer les douleurs. Attention cependant à ne pas tomber dans l’excès inverse, surtout chez les patientes hyperactives. Un des objectifs à atteindre sera la considération de cette activité physique contrôlée lors de la séance comme étant l’activité physique de la journée. C’est pour cela qu’il est important de fixer un cadre et d’intégrer à chaque séance un temps de relaxation dirigé puis autonome. Ces exercices peuvent alors être réutilisés lors des moments de stress (avant les repas, autour d’objectifs professionnels...) et avant l’endormissement.

2. Les déstabilisations

En parallèle de ce gain de confiance, on peut travailler sur le ressenti des différentes informations physiques en proposant à la patiente des exercices sur la notion de proprioceptivité. Pour ce faire, il est intéressant d’envisager des ateliers allant vers des déstabilisations physiques qui permettent de faire ressentir le déséquilibre (trampoline, plateau de Freeman, ballon de Klein...) tout en interrogeant la patiente sur ses sensations. Le travail avec une balle hérisson comme catalyseur de sensations permet d’importants progrès. Le thérapeute peut, au travers d’exercices de coordination, faire prendre conscience à la patiente de l’aspect figé des ceintures pelvienne et scapulaire.

3. Le massage

Au début de la prise en charge, le massage n’est pas forcément accepté. La patiente n’a pas franchi l’étape qui consiste à accepter le toucher ; elle se franchira avec le temps. Si tel est le cas, le thérapeute peut alors proposer un moment de relaxation autour de la respiration dirigée en insistant sur la sensation d’apaisement découlant de la séance. S’en suivra un temps d’échange afin d’améliorer le bilan.

... le kinésithérapeute peut proposer un massage abdominal en mobilisant les différents organes en souffrance...

En général, la patiente commencera par accepter le massage dorso- lombaire, souvent siège de contractures et source de douleurs. Il semble que cette zone souvent méconnue n’est pas source de conflit, à l’opposé du ventre qui se présente à sa vue devant le miroir. Le ventre peut se modifier en fonction des différents repas et des réactions du système digestif (gonflement, ballonnement...). Au fur et à mesure de la prise en charge, la confiance et la discussion aidant, la patiente peut décrire des douleurs abdominales. C’est à ce moment que le kinésithérapeute peut proposer un massage abdominal afin de diminuer les douleurs en mobilisant les différents organes en souffrance et donner des sensations d’apaisement à cette zone souvent rejetée. Le massage aura pour objectifs : d’ouvrir un espace de dialogue privilégié, de communiquer des informations sensitives chaudes, de diminuer les douleurs et de ressentir un moment d’apaisement. Si la patiente verbalise cet apaisement, il peut être intéressant de la laisser seule afin qu’elle profite de ce calme, souvent absent de sa vie quotidienne. Lors de cette phase, la communication est le point central afin d’affiner le bilan initial. La patiente prend alors conscience de sa pathologie et du décalage entre ses envies et la réalité.

II. Le lâcher-prise

Au fur et à mesure des rendez-vous avec le psychiatre, le nutritionniste, et des séances de kinésithérapie, la patiente s’ouvre, retrouve des envies, des demandes. Elle commence à apprécier les moments de calme au travers d’exercices de relaxation en autonomie. Un autre indicateur de changements est la présentation de la patiente, elle retrouve des envies de féminité (prise en charge d’elle-même et de son corps : maquillage, verbalisation de la difficulté à trouver des vêtements...) et des envies sociales (sorties, rencontres). Lors de cette phase de « lâcher-prise », la patiente passe par des épisodes de pulsions alimentaires corrélés à des douleurs au niveau de l’estomac et de l’abdomen. C’est à ce moment que la patiente décrit de fortes suées nocturnes avec des sautes d’humeur, comme si le corps et l’esprit de la patiente retrouvant des sensations ne savaient pas comment les assimiler et les retranscrire.

... travailler sur la notion de mobilité et de coordination notamment du bassin, centre de la féminité perdue

Cette phase est normale et va durer quelques mois. Il faut accompagner la patiente dans la redécouverte de ces sensations, en insistant sur différentes techniques de massage tout en faisant verbaliser les sensations procurées. En général, ce temps est marqué par une acceptation de la famille d’engager une démarche thérapeutique.

1. Vers la mobilité pelvienne

Le travail de l’équipe permet une prise de conscience du carcan physique imposé par la maladie avec une démarche robotisée de la patiente. En effet, les raideurs entraînent une perte de mobilité. Lors de la marche nous retrouvons une absence de dissociation des ceintures et de mobilisation du bassin dans le plan sagittal. Les démarches féminine et masculine sont différentes. Dans le plan sagittal, afin de conserver le centre de gravité au plus proche de l’appui, tout en ayant la tête horizontale, l’homme aura tendance à transférer l’ensemble du corps alors que la femme ne translatera que le bassin. Dans le plan frontal, la marche pelvienne se traduit chez les individus des deux sexes par une avancée du bassin, avec mouvement dissocié des épaules lors du passage du pas. Ce mouvement est perdu par la patiente.

C’est à ce moment du lâcher-prise qu’il va falloir travailler sur la notion de mobilité et de coordination notamment du bassin, centre de la féminité perdue. Afin de travailler progressivement, il est nécessaire de commencer par travailler plan par plan, du frontal vers le sagittal. Dans un second temps, il faut intégrer petit à petit la notion de dissociation des ceintures, notamment lors d’exercices de relaxation, la patiente allongée avec un ballon de Klein. Lorsque ces exercices de relaxation ne sont plus vécus comme opprimants, il est intéressant de passer à la position debout avec des exercices de coordination globale (marche sur les talons, sur les pointes, talon/plante/pointe) tout en faisant prendre conscience à la patiente de ses erreurs, difficultés et modifications de son ressenti en lien avec les différents gains de mobilité.

... la patiente a appris à ressentir différentes sensations au travers du toucher thérapeutique

En parallèle de ce travail, la patiente va régulièrement retrouver des envies sociales et modifier sa présentation. La réalisation d’exercices de hula hoop peut alors permettre une évaluation rapide de la capacité de la patiente à mobiliser son bassin dans le plan sagittal. Cet exercice permet aussi d’ouvrir sur la danse et la sollicitation de sorties autour de ce thème.

2. Le massage, lieu d’expression sensitive




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CYPRIEN BOULC’H

Installé depuis quatorze ans au sein du Centre hospitalier privé de Saint-Grégoire - Rennes, il prend en charge des patientes présentant des troubles du comportement alimentaire entraînant dysmorphophobie et troubles du schéma corporel. Diplômé en kinésithérapie du sport, il est également spécialisé dans l’évaluation et la rééducation des coureurs à pied et des pathologies du membre inférieur. Il accompagne aussi quelques athlètes de haut niveau (athlétisme).

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Hors série n°17 “Les troubles des conduites alimentaires“
Comprendre et mieux soigner

Organisé par Bruno Dubos, psychiatre, spécialiste du traitement des troubles des conduites alimentaires, avec la complicité de Julien Betbèze, rédacteur en chef de la revue Hypnose & thérapies brèves, ce hors-série de 212 pages réunit les interventions de onze thérapeutes qui décrivent leur manière de travailler. Chaque article s’appuie sur une expérience clinique et vise à transmettre des pistes pour aider les patients à se libérer des histoires dominantes dans lesquelles ils sont enfermés.

Sophie Cohen nous donne un bon exemple de stratégie pour aborder une crise de boulimie. Elle décrit une séance de « transe debout » dans laquelle elle va réintégrer les modifications de perception ayant émergé dans le dialogue thérapeutique.

Eric Bardot nous présente la situation d’une jeune femme consultant pour une surcharge pondérale. La description de l’entretien, très détaillée, nous fait comprendre l’apport novateur de la TLMR (Thérapie du Lien et des Mondes Relationnels) à l’utilisation de l’hypnose en thérapie.

Gérard Ostermann pose avec acuité le lien entre anorexie et addiction, et souligne l’intérêt de la thérapie narrative pour rencontrer l’autre.

Elisa Valteroni, collaboratrice de Giorgio Nardone, nous explique clairement comment utiliser un diagnostic opératoire avant de débloquer les processus perception-réaction dysfonctionnels. Elle insiste sur l’importance de la phase de consolidation et aborde la question du suivi.

Dominique Bligny met l’accent sur le sevrage du self-control et souligne les lacunes des recommandations de l’HAS pour cette prise en charge très spécifique. Elle nous donne des conseils pratiques très utiles en thérapie.

Cyprien Boulch nous rappelle l’intérêt, dans l’anorexie mentale, d’associer la prise en charge nutritionniste et psychiatrique avec la kinésithérapie.

Stéphanie Delacour aborde le thème de la sexualité avec deux patientes présentant une obésité. Elle souligne l’importance du mouvement dans la relation et du retour des émotions, avant de se focaliser sur la perte de poids.

Dominique Cassuto relie l’alimentation intuitive et l’hypnose dans la prise en charge de la surcharge pondérale.

Anne-Cécile Odeau nous donne un exemple de prise en charge familiale en thérapie systémique et l’intérêt d’une intervention précoce avant la chronicisation des symptômes.

Julien Betbèze présente l’évolution de l’anorexie hystérique vers l’anorexie addictive, à partir du processus d’autonomie relationnelle, en lien avec la représentation de la féminité de Freud à nos jours.
Il développe le type de questions à poser en début de thérapie pour faire émerger l’autonomie, dans une relation perçue comme maltraitante.

Bruno Dubos souligne pour les thérapeutes, l’importance de travailler les ressentis sensoriels dans un lieu sécure. Il dévoile l’importance des intentions relationnelles dans le processus d’autonomisation et décrit la mise en place d’un espace de sécurité partagée pour remettre le corps en mouvement.

Crédit Photo Jean-Baptiste Valiente Moro

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Rédigé le Mercredi 22 Mars 2023 modifié le Dimanche 30 Juin 2024
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Vice-Président de France EMDR-IMO ® Président du Collège d'Hypnose et Thérapies Intégratives… En savoir plus sur cet auteur



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