« Qui était mon père Milton Erickson ? ». Roxanna Erickson

Le Dr Erickson Klein, l’une des filles de Milton H. Erickson, lève ici le voile, en exclusivité pour notre revue et pour la première fois, sur son point de vue de l’essence de la contribution de Milton Erickson à la psychothérapie. Son opinion que l’« Espoir » représente mieux encore l’élément central du travail d’Erikson que l’« Utilisation » est présentée et renforcée par l’histoire personnelle de sa vie dans la maison familiale avec son père.



L’essence de la contribution de Milton H. Erickson à la thérapie contemporaine

Milton H. Erickson est un patronyme mondialement connu, honoré et éponyme pour 140 instituts issus de 27 pays différents.

L’importance de sa contribution pour l’intégration de l’hypnose clinique dans l’art du soin est reconnue et appréciée. Paradoxalement, alors qu’une partie importante de son enseignement semble relever du simple bon sens, en comprendre les spécificités profondes n’a jamais été aisé même pour les plus avertis. Le travail d’Erickson, tant sur le plan clinique que pédagogique, implique d’imperceptibles strates qui défient la simple description cognitive. Souvent patients et étudiants avaient la sensation qu’un travail en profondeur s’était effectué, sans pour autant parvenir à trouver les mots pour expliquer comment ces changements s’étaient produits. De telles lacunes dans cette narration laissent libre cours à différentes interprétations, voire même à des différences fondamentales dans l’appréciation de son travail. Cet article est un essai visant à rassembler la contribution fondamentale d’Erickson autour d’un concept central.
Bien qu’un concept unique ne puisse contenir la totalité d’une oeuvre, il procure un cadre pour une évaluation et une réflexion globale.
La disparition de Milton H. Erickson en 1980 nous a laissé en héritage un nombre limité d’enregistrements audio ou vidéo, de nombreux écrits et un noyau dur de confrères, eux-mêmes centrés sur le coeur de son enseignement. Ces confrères, pour la plupart professionnels de haut niveau et étudiants appliqués de sa méthodologie, continuent d’explorer ses idées.
Lors des deux dernières décennies de sa vie, ceux qui l’ont suivi ainsi ont développé un mouvement reconnu aujourd’hui comme étant l’approche ericksonienne.
Lorsque ses étudiants sont à leur tour devenus des leaders, la dynamique de l’oeuvre d’Erickson a continué de diffuser aux USA et, au-delà, dans le monde entier.
Bien que ses approches soient reconnues comme efficaces, l’identification d’un cadre théorique a été, et reste, insaisissable.
Même lorsqu’un consensus existe sur les concepts fondamentaux d’Erickson, des fossés persistent quant aux interprétations à donner à ses stratégies.
De quelle façon l’oeuvre d’Erickson a-telle modifié le visage de la psychothérapie
contemporaine ? Il est important de distinguer ce qui ressort d’un côté du pur travail d’Erickson en référence à ses premiers
écrits, et de l’autre des approches ultérieures des Ericksoniens, exprimant alors une vision de seconde main.

Un des éléments clés concerne l’époque : une ère d’hostilité envers ses idées pendant laquelle Erickson initia des stratégies considérées alors comme révolutionnaires.

Mes distingués confrères interviennent le plus souvent lors de forums en étant bien rompus aux théories psycho-dynamiques et aux fondements cognitivo-comportementaux .De ce point de vue, Erickson est considéré comme un non-conformiste, un adversaire ; quelqu’un qui amène de grands changements.

Mon point de vue est diffèrent. Je viens d’un milieu où ces idées sont normales, quotidiennes, voire même banales. Ma formation psychothérapeutique s’est effectuée en sens inverse, débutant par une approche ericksonienne pour revenir ensuite vers les idées qui constituent le cadre formel de la psychothérapie actuelle. Mon acceptation est plus représentative du climat intellectuel contemporain que de l’opposition historique, malgré des décennies d’enseignement d’une psychologie psycho-dynamique ayant laissé une empreinte profonde chez les professionnels du monde entier.

La capacité d’Erickson à susciter des changements rapides, et essentiels en un minimum de temps, a attiré l’attention des chercheurs. Surpris par l’efficacité de sa thérapie, les étudiants d’Erickson ont observé sa méthodologie si unique et soulevèrent des questions à ce jour non résolues.
Son esprit puissant, la force de sa présence, et son exceptionnelle capacité à intégrer psycholes réponses en retour (« feedbacks ») lors de ses interactions vont au-delà du commun ; cependant, il s’acharnait à répéter que son travail n’était pas de la magie. Bien qu’il fut tout dévoué à la science, ses conceptions défiaient l’enfermement des méthodes de recherche. Il enseignait que son approche était basée sur des principes scientifiques
non encore compris. Les neurosciences actuelles mettent en évidence que la base scientifique de son travail est plausible et confirme que son idéologie expérimentale est compatible avec les concepts de neuroplasticité.

Dans le contexte actuel, la pensée et les idées d’Erickson sont de plus en plus largement acceptées par la grande majorité de la communauté.

Nombre d’Ericksoniens avancent le concept d’Utilisation comme étant la contribution la plus significative de Milton
Erickson à la psychothérapie actuelle. L’Utilisation a clairement contribué à l’efficacité de sa pratique. Sans hésiter, il a développé et intégré ce concept dans tous les aspects de son travail.
Ce principe singulier et les multiples chemins pour l’exprimer restent la marque caractéristique de sa pensée, de son style. Malgré cela, et selon moi, sa profonde capacité à susciter l’Espoir définit l’essence du travail d’Erickson.

Utilisation

Durant toutes ses décennies de travail et de rédaction, les idées d’Erickson se sont développées et modifiées. Les concepts d’utilisation comme ceux de transe conversationnelle et naturaliste reflètent l’évolution de sa pensée. Le plus ancien article que j’ai retrouvé où Erickson évoque de façon spécifique l’Utilisation fut publié pour la première fois dans l’« American Journal of Clinical Hypnosis » en 1959.
Dans cet article, il décrit l’Utilisation comme une validation des comportements présentés par le sujet, en y incluant la disponibilité de l’opérateur à accepter ces comportements, même dans les cas ou de tels comportements semblent aller à l’encontre du bénéfice thérapeutique. Erickson présenta 16 cas cliniques dans lesquels le comportement du sujet a été totalement accepté pour devenir le tremplin d’un changement bénéfique.
Il décrit la technique d’Utilisation comme un travail fondé sur les attitudes, les pensées, les sentiments et les comportement du sujet pour faciliter l’induction d’un état hypnotique et thérapeutique. Dans sa conclusion, il remarque l’efficacité particulière de l’Utilisation pour faire face aux stimuli stressants.
Après ce premier papier, l’élaboration du concept ericksonien d’Utilisation s’est étendu. Les idées de transe naturaliste et conversationnelle ont été incorporées à des concepts plus larges. Yapko (2003, p. 307) évoque une conversation entre Ernest Rossi et Erickson expliquant que l’hypnose est un état naturel spontané et que l’Utilisation capitalise sur la disponibilité du sujet à entrer en transe.
Aujourd’hui, lors d’une interaction thérapeutique, lorsqu’on se réfère au concept d’Utilisation d’Erickson, on évoque essentiellement les points suivants :
a.l’acceptation volontaire et l’inclusion
de la vision du monde singulier du sujet ;
b. la reconnaissance de la réponse hypnotique
lors d’une conversation naturelle ;
c. l’usage spontanément réalisé des informations
et des circonstances reçues.
L’Utilisation, sous toutes ses formes, est disséminée au long de l’oeuvre d’Erickson. En fait, elle émaille son approche de la vie de tous les jours tant sur le plan personnel que professionnel, philosophique ou pragmatique. C’est sans aucun doute un axe fondamental de son idéologie.
Mon point de vue est que, bien qu’étant au coeur de l’approche ericksonienne, l’Utilisation est un simple élément tactique. Soulignant la base sous jacente de cet élément clé de son travail, on trouve un concept philosophique et psychologique qui dépasse de loin cette approche tactique, l’Espoir.

Roxanna Erickson Klein

Roxanna Erickson Klein, PhD, est la septième des huit enfants de Milton et Elizabeth Erickson. Professionnelle de santé, clinicienne, licenciée en aide psycho-sociale, infirmière et spécialisée dans le traitement des dépendances chimiques, elle est membre du Bureau directeur et dirige le musée de la Fondation Milton H. Erickson à Phoenix, Arizona, USA. Elle est l’auteure de nombreux articles et ouvrages et a coédité la série en 16 volumes des Collected Works of Milton H. Erickson.

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Rédigé le Lundi 9 Mai 2016 modifié le Mercredi 25 Mai 2016
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Vice-Président de France EMDR-IMO ® Président du Collège d'Hypnose et Thérapies Intégratives… En savoir plus sur cet auteur



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