Souffrance sexuelle : la place du psychologue à l'hôpital

Par Pascale Stefani

Je parle ici de ma place de psychologue clinicienne, psychothérapeute d’orientation psychanalytique et thérapeute de couple formée à la sexologie. Je travaille à temps plein dans un cadre médical, le service d’urologie au CHU de Nîmes. J’ai choisi de centrer mon propos sur l’entrecroisement entre médecine et psychologie, espérant en cela participer à la réflexion sur nos positionnements dans l’interdisciplinarité, paradigme qui invite les disciplines à se décentrer de leur épistémologie d’origine et ainsi croiser les discours afin de réinventer sans cesse nos pratiques.



Les patients que je reçois en consultations externes sont tous suivis médicalement, la plupart dans le service, composé d’urologues, andrologues, médecins sexologues, gynécologues, radiologues, attachées en recherche clinique et équipe paramédicale. Je travaille avec eux en lien permanent et la plupart sont sensibilisés à la dimension du sexuel. Parfois d’autres services font appel à moi pour la demande sexuelle (gynécologie, neurologie,
oncologie, psychiatrie, maladies infectieuses, orthopédie, rééducation fonctionnelle...). Une partie des patients souffre de pathologies médicales, une partie vient consulter directement autour de leur souffrance sexuelle. Pour certains, la rencontre s’est faite durant l’hospitalisation, au pied du lit.

LA PLACE DU PSYCHOLOGUE À L’HÔPITAL

Celle-ci répond aux missions qui lui sont confiées, les études montrant en effet que la prise en charge psychologique a des effets positifs, pas toujours mesurables dans le présent, sur : l’autonomisation, la baisse de risques de récidives, l’évitement de surenchères d’actes médicaux, la levée de symptômes. Elles montrent également que l’aspect psychologique et relationnel est la base d’une sexualité épanouie.

Cette mission se définit donc par :
• la continuité des soins et leur accès pour tous ;
• la participation à l’effort d’humanisation des prises en charge, dans un lieu qui peut être dépersonnalisant ;
• le traitement des aspects psychologiques, relationnels, fantasmatiques ;
• la représentation et soutien de la dimension psychologique auprès des patients, de l’entourage et des équipes, missions transversales se déclinant à la fois sur le plan clinique, institutionnel et formation recherche ;
• la participation à la réflexion éthique autour de l’annonce de diagnostic, les attentes des résultats, l’échec thérapeutique ou la pertinence d’une aide médicamenteuse ou chirurgicale, et ainsi répondre à notre devoir éthique de traiter le sujet souffrant ou malade autant que la souffrance ou la maladie.

Place spécifique par essence quelque peu ambiguë, et parfois inconfortable, car son inscription institutionnelle est encore difficile. Le psychologue est en effet un professionnel des sciences humaines, non un para-médical, non un professionnel de santé. Mais quand il travaille à l’hôpital, il est un professionnel dans le champ de la santé, ce qui fait une différence.

Place spécifique aussi du côté de la demande du patient autour de sa souffrance sexuelle, qui s’adresse et est accueilli en premier lieu par le médecin. Cette question de la demande est ce premier point que j’ai choisi de développer. Mon deuxième point portera sur la rencontre entre le médical et le psychologique, ainsi que sur ses discordances et paradoxes avec trois accents :
Lecture du symptôme.
Lecture du sexuel.
Question des discours.

LA QUESTION DE LA DEMANDE

L’hôpital est un cadre où la demande du patient, l’adresse, se fait en premier lieu au médecin, à son savoir. Le psychologue est consulté par «délégation», non directement. Ainsi son intervention n’est pas sans ambiguïté. Que demande cette offre ? Ce peut être : quand les examens et la plainte sont discordantes ; quand un patient mobilise plusieurs équipes, spécialistes, beaucoup d’examens avec le verdict : « Il n’y a rien »... en tout cas rien de médicalement objectivable ; quand un patient dépose quelque chose de l’ordre du traumatisme, un patient difficile, évidence d’un conflit psychique, place de l’inconscient… Celui-ci ressort alors de notre champ d’exercice.

• Des questions se posent alors : Comment le patient peut-il se sentir concerné par la demande d’un tiers ? Comment l’amener à s’intéresser à sa singularité, à l’origine de sa souffrance? « Je ne sais pas ce que je fais là, c’est mon médecin qui le demande, jamais je n’aurais imaginer côtoyer ce lieu » ;
ou « moi je veux bien essayer, tout mettre de mon côté s’il le faut, mais je vous avoue, j’y crois pas trop, ma compagne, elle, ne veut pas venir, elle dit que pour elle ça va ». L’adresse n’est pas interchangeable, sinon la parole devient marchandise donc sans effet. A qui donc s’adresse t-on ? Et comment se représente-t-on son interlocuteur ? Et qu’en est-il du travail avec le transfert, si prégnant avant même la rencontre ?

• De la plainte à la demande Le psychologue clinicien prend le temps d’entendre la vraie demande. Mais l’adresse de la plainte n’est pas suffisante pour qu’il y ait demande. L’offre s’interpose entre la plainte et la demande, elle la crée et vice versa : parler en son nom, grâce à un cadre contenant, un dispositif, quel que que soit le dire du patient. Alors seulement là il peut présenter sa demande. Le passage de la plainte à la demande peut se faire au travers d’une question du patient sur le sens à donner à ce qui lui arrive, de sa position à l’égard de sa souffrance, sa subjectivité. Nous savons tous à quel point le patient tient à sa plainte. Le paradoxe de la véritable demande est qu’elle n’est pas que guérison mais, au-delà de la réparation et du sauvetage du corps, elle relève d’une décision du patient, d’un engagement à comprendre en quoi il peut y être pour quelque chose.

Jacques Lacan, dans son intervention sur la place de la psychanalyse en médecine (1966), pose la question : « Où est la limite où la médecine doit agir et à quoi doit-elle répondre ? A quelque chose qui s’appelle la demande, demande de savoir. » Selon lui, ce qui importe c’est le registre du mode de réponse à la demande, la réponse de l’autre comme telle, indépendamment de l’appropriation effective de ce qu’il revendique : demande de reconnaissance, d’amour, de l’authentifier comme souffrant, voire de le préserver dans sa souffrance, questionnant alors la structure de la faille entre demande et désir. Nous avons tous eu affaire à ces patients pour qui le symptôme sexuel lâche, mais qui ne l’évoque même pas… On l’apprend par hasard, tandis que la plainte d’un mal-être continue.

• Jeux du désir et de la demande
La demande est intriquée au désir (par exemple, pour l’obsessionnel, l’objet du désir ce n’est que la demande). Elle est l’expression à partir de laquelle le désir se différencie du besoin. C’est aussi le désir du médecin qui présente le psychologue au patient qui entraîne le désir de ce dernier afin de laisser le psychologue occuper cette place . Commencer un travail psychothérapique, c’est se reporter à la force ou à la qualité de la demande : par exemple, le souhait de comprendre, ou bien la véritable aspiration au changement, quand le patient ne peut plus supporter ce qui constitue son symptôme.




Rédigé le Jeudi 30 Octobre 2014 modifié le Mardi 26 Décembre 2023
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Rédactrice de Psychothérapie.fr En savoir plus sur cet auteur



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