Un fantôme à l'ouvrage... de Win Freddy

Aujourd'hui, nous vous présentons le cri du coeur d'un écorché vif...



Il y a quelques années, j’écrivais à l’une de mes filles...
Ma belle tendresse.
Tu es celle qui manque.
Ce soir au repas de famille, tu ne seras pas là.
Je ressens pourtant ta présence.
Toujours, tout le temps.
Au plus profond de moi.
Je ne (me) l’explique pas.
Tu es toujours là.
Comme le rêve devenu réalité.
Comme l’oxygène d’une belle pensée.
Je pense à toi.
Comme un bonheur.
Ravit au manque.
Tu es ma plus belle fierté.
Intelligente. Douée. Surdouée.
Des choses de la vie.
Je t’écoute. L’oreille au loin.
Je ne sais pas si tu m’entends.
Je t’attends. Assis sur un banc.
De la vie. Ravie.
Au cœur d’une belle histoire.
Celle du jour de ta naissance.
Aux jours heureux de ton adolescence.
Aux milles senteurs de ta beauté.
Que dis-je, de ton intelligence.
Je suis le père comblé.
Je suis un père comblé.
De tant de ravissements.
Aux noms singuliers.
« Ma fille ».
« Ma fille chérie ».
Je t’aime.
Au-delà de ce que tu peux imaginer.
Grâce à toi, je suis un père comblé.
De tant de fierté(s).


J’ai longtemps attendu une telle lettre de mon père. Qu’il n’a jamais envoyé.

Même si quelques mois avant sa mort, il a pu dire. Je suis fier de toi. Enfin.
Lui qui aurait tant voulu être le père. De mes amis de l’époque. Et si peu le mien.
Je t’aime papa. Depuis toujours. Hier. Aujourd’hui. Et demain.

J’ai pleuré. Des larmes. En regardant la cérémonie du 67ème anniversaire de l’Etat d’Israël sur la 2. Je n’avais pas envie de sortir. Je n’avais pas d’ami(s) avec qui partager l’évènement. Je ne perds plus mon temps. A m’embarrasser de gens inintéressants. Je ne demande pas qu’ils soient intelligents. J’ai trop souffert de la méchanceté, des jaloux. Il ne faut pas se méprendre. Je n’ai jamais su écrire. Lorsqu’il y a quinze ans, à la suite d’une faillite, j’ai pris la plume, commencé à écrire. Je ne comprenais pas. Ma main qui foutait le camp sur la feuille, d’un homme ou d’un moi que je ne connaissais pas. Ou pire, que je n’apprivoisais plus. C’était quoi cette chose. L’écriture automatique de ma main qui foutait le camp sur la feuille. Sans mon consentement. Les mots qui se bousculaient à l’orée de ma tête. Ou d’un dire. Comme s’ils étaient une guerre. En guerre. Des flots de mots. Ou de maux. Je ne savais le dire. Sinon l’avènement de quelque chose de nouveau. Dont j’étais l’artiste. Mais plus encore le témoin. Tel le phénix qui renaît de ses cendres. Alors qu’à l’origine du mythe, il est représenté par le Bénou, un oiseau semblable au héron, et pour faire court, qui accompagne les morts dans l’Au-delà jusqu’à Osiris. Ou, peut-être lorsqu’on parle de la Shoah, jusqu’au gan Eden.
Je ne suis pas tout le monde. J’écris comme personne. Je me vois en haut de l’affiche. Alors que je suis au bord du précipice. Depuis quelques jours. Je vis à l’heure d’un blogue. C’est excitant. Décevant. Le talent. Attend. La gratuité du geste. Le comble ou le rempli du vide.

On peut savoir écrire. Et ne pas savoir parler. J’ai perdu mon amie. La seule, l’unique, la vraie. Celle avec laquelle je terminerai mes jours. La mère de mes enfants. Même si nous nous sommes quittés. Même si je ne sais pas comment. Nous nous aimons. Autrement. Alors que j’aurais du l’écouter. Ma vie durant. Je ne serais pas artiste. Je continuerais à collectionner les artistes. J’aurais peut-être une galerie. J’aurais été galeriste. J’aurais fait des courbettes. Pour vendre les toiles des autres. A la place de mes toiles à moi.
« Ecrire c’est peindre des mots… », dit Ben. Le fils de qui, suis-je ? J’étais le frère de remplacement de mon père. Quand il a perdu son frère. Après la horde passée. Il s’est fait un nom. Alors que j’ai perdu le mien. Je n’étais plus rien. La psyché en deuil. De son frère.

Mon frère a rejeté le sien. Je suis le fou du mien. Après ce que j’ai écrit, les hontes ne me font plus peur. La honte ne dure qu’un quart d’heure, disait le grand-père d’une amie.
J’étais un garçon de bonne famille, mais de mauvaise réputation. La société bourgeoise de mes fréquentations ne trouvait qu’à médire. Ou m’excommunier. Dans la fange de leurs dires. Alors que j’étais à terre. Plus bas que terre. En communion. Psychique. Avec mon oncle. Le musulman d’Auschwitz.
Je savais. Où, j’étais. Où, je me trouvais. Mais comment dire la vérité ? Que personne ne veut entendre. Parce qu’elle fait trop mal. Mais comment dire à la société ? Du prêt-à-porter. De la pensée. Du bien se comporter. Selon leurs critères. Que pour être loyal à son père, et à sa famille. On est obligé de rejouer la Shoah dans sa vie. Au détriment de sa propre famille. Ou être en phase avec son oncle. Le musulman des camps.
J’écris la Shoah. Comme personne. Avant moi.
Cette chose qui m’habitait était étrange. …ment racontée dans les livres. La théorie n’est pas l’expérience. De la réalité. Ils n’expliquent pas de quelle manière s’en libérer.

La route d’un porteur de fantôme est barrée à l’introjection, la formation de l’identité de soi. A l’adolescence, l’incorporation s’oppose à l’introjection. Elle signifie un arrêt, un obstacle à la découverte de soi, aux perspectives du moi.

Le fantôme est une névrose généalogique. Elle ne m’appartenait pas. Elle appartenait à l’un de mes ascendants. Le psychisme ne connait pas l’espace-temps. Le fantôme serait la réactualisation d’un passé.
Selon certains, le bébé dupliquerait l’inconscient parental. L’enfant porteur de fantôme connaitrait alors l’histoire de ses parents. Son appareil psychique serait arrêté en gare du passé. Selon d’autres, elle se transmettrait par une mémoire cellulaire. Selon d’autres, encore etc.


Lorsque je dis que les enfants connaissent l’histoire, les non-dits, les secrets de leurs parents, ça vient de là.
Mais comment pouvais-je connaître l’histoire d’Ephraïm lorsqu’il était à Auschwitz et la répéter dans ma propre existence ? L’inconscient parental ou la mémoire cellulaire ne pouvaient connaître les évènements qui se sont passés à Auschwitz. A moins que je ne sois lui ou une partie de lui. Au niveau de l’âme. Comme un rabbin, me l’a suggéré, avant de m’expédier. Le « guilgoul neshamot ou guilgoulei ha neshamot », la transmigration des âmes, la métempsychose ou la réincarnation. Si je peux l’entendre, j’ai cependant du mal à l’accepter.

La honte comme les secrets n’ont pas besoin d’être évoqués pour se transmettre à travers les générations. « Ce qui est tu par les mots, s’imprime, se répète et s’exprime par les maux », dit Anne Ancelin Schützenberger, dans « Aïe mes aïeux ! ».
« Par « transposition », Judith Kestenberg exprime l’idée que l’individu s’accapare les faits passés et tend à les revivre dans l’actuel. Il s’agit d’un fonctionnement psychique qui prend valeur de « pont » historique, et qui entérine l’absence de travail de deuil des parents.

Il semble, alors, que les parents qui ont subi les traumatismes confient à leurs enfants une part de leur fonction psychique réactionnelle au trauma : revivre les évènements afin d’essayer de les maîtriser; ce qui expliquerait l’origine de cette vie par procuration que décrivent nombre d’auteurs » ( Enfants de survivants - Nathalie Zajde - Ed. Odile Jacob )

Les parents ne sont pas responsables de la transmission d’un fantôme. Sinon par omission. De ne pas avoir parlé. Raconté les secrets qui les ont traumatisé.

Le dibbouk est la conséquence d’une occurrence traumatique. Il se transmet toujours par le sexe ou la mort. Un mort mal mort.
Le mot dibbouk provient du verbe « leadbik », qui signifie coller. Le dalet, le beit et le kouf, ses racines composent le mot « devek », qui signifie la colle.
J’ai été choqué d’apprendre qu’Isabelle était biologiste. Alors que je regardais le programme de la soirée du 67ème anniversaire de l’Indépendance. Il y a longtemps que je ne crois plus au hasard. Et que je lui avais envoyé cinq chapitres de mon manuscrit pour les transmettre à des amis proches d’éditeurs. Qui décrivaient précisément ma découverte de l’assassinat d’Ephraïm par un biologiste, à Auschwitz.
Le lendemain, je n’en menais pas large. Je tournais en rond dans le living. De ma tête. Tentant d’échapper à l’angoisse. Alors qu’elle avait lu, l’intime de l’intime, de la souffrance, à nu. Curieuse de connaître les chapitres. Elle avait tout lu d’une traite. Sans donner de nouvelles, un mot pour dire, je ne sais pas quoi. Il faudra que je m’habitue, à ne pas recevoir de mots, même si je suis sincèrement désolé, mais encore plus blessé. De savoir que les gens ne sont pas toujours à la disposition. De mon diapason.

Mes doigts frémissaient. Le papier virtuel. De ma tête. J’appelais Véronique.
Occupés, nous nous étions ratés trois jours de suite. Salut Véro, écrivais-je. As-tu quelque chose à me dire ou je fais l’impasse sur notre possible entretien ? Bises.
Salut, mon amie, une fan de Primo Levi, t’as lu. Elle a trouvé ton style puissant et sans pathos, répondait-elle. Mais le timing mal choisi par rapport à toutes les sorties littéraires etc. Ton interview à Radio Shalom, je n’ai pas trouvé ça top, poursuivait-elle. Si tu veux que je t’en dise plus, je t’appelle.
Mon sang n’a fait qu’un tour. J’ai pensé, son amie la prend pour une conne. Cette année-là, j’avais une collection qui pouvait passer. Mes amis m’avaient fait le topo. Tu déposes la collection. Quarante huit heures plus tard, lorsque tu viens la rechercher, on te répond que les achats sont déjà faits. Comme une fin de non-recevoir.

Le boss à capoté. Avant d’avoir le sens des mots, j’avais le sens de la mode. Pendant des années, à travers ses boutiques, parmi les plus luxueuses du Haut de la ville, les Champs-Elysées bruxellois, j’ai habillé les plus grandes pétasses de la capitale. "Radio Shalom était top", ai-je répondu.

Je préparais un article pour expliquer l’interview. Ce qui se cachait derrière les mots. Et crois-moi, c’est brillant. Parce que j’ai compris comment mon oncle a été assassiné à Auschwitz. De mon premier psychiatre, je disais : « Je suis fasciné par ses chaussures noires brillantes. Je ne sais pas quoi, mais le brillant de ses chaussures, signifie quelque chose. Alors que, je découvrais trois ans plus tard, que le brillant de ses chaussures était le lien, pour comprendre. Le verbe « pheinen » en grec, signifie briller, et que mon oncle recevait une piqûre de « phénol » dans le cœur, avant de se faire arracher le foie, la rate et le pancréas. Des matières encore vivantes, après sa mort. Pour les expériences de son assassin, anatomiste, biologiste à l’université de Münster. Le docteur Johann Paul Kremer, qui disait qu’Auschwitz était le trou du cul du monde. Et que grâce à son journal intime, au procès de Kiel, on pouvait prouver que les trains partis de partout en Europe, étaient bien arrivés à Auschwitz ».

J’ajoutais, que quelle que soit la qualité de mon article où j’expliquerais comment se soigner des troubles de la Shoah, il serait critiqué ou du moins incompris quant à la solution que je donne pour se libérer des fantômes qui nous habitent.
Je terminais que j’écrivais bien. Peut-être même mieux que Primo Levi.
En fin, que j’appréciais sa franchise pour l’interview. Mais qu’il est difficile de raconter à l’antenne. Qu’on a eu un père qui s’est fait violer. C’est pourquoi j’ai hésité.

J’ai parlé de viol. J’ai zappé. Le reste. Ou ce que je venais de lui raconter concernant Ephraïm. L’enfant savait. Après cela m’a pris des années pour comprendre comment cela fonctionne. Et quoi qu’on puisse en penser. Jusqu’à ce jour. Il s’agit d’une histoire inédite. Ou comment ce qui s’est passé à Auschwitz, quand mon oncle y était, s’est reproduit quelque part, dans ma vie.

J’aurais du plaisir à entendre sa voix. Parce qu’elle m’intriguait, disais-je. Alors que je pensais abandonner le blog. Trop de temps pour peu d’acquis. Bises et merci.

J’ai décroché. La voix m’a surpris. Je connais ce genre de timbre. Grave. Fort. De caractère. Que j’aime bien. Alors qu’elle m’a dit : « J’ai failli m’étouffer en te lisant ».

Mon interviewer avait raison de dire que j’écris de la poésie en prose. La poésie entre autres solutions permet un retour à l’introjection. Le rythme en est une autre. Une des premières formes du langage. Une nouvelle naissance psychique. Le procédé d’individuation dont parlait Jung dans les livres.
Toutes mes retenues de paroles, de non-dits sont sorties. Elle catchait dans l’instant. Pour avoir suivi des thérapies.
J’ai insisté sur mon écriture. Un jeune polonais de passage au Musée Juif de Belgique, étudiant en littérature française, à l’université de Varsovie, me l’avait décrite. Je matais son dire, psychiatrisation de mon langage. Connaissez-vous la guématria qu’utilise Jabès dans l’écriture ? demandait-il. Il s’agit d’une technique qu’il utilise fondée sur une équivalence entre les lettres et les chiffres. Je ne connais pas cette forme d’écriture, disais-je. Vous utilisez pourtant ces procédés anciens, affirmait-il.

« Le porteur de fantôme » est la suite de « Si c’est un homme » de Primo Levi, ai-je dit. Je suis son héritier. Levi raconte Auschwitz, moi l’après Auschwitz. Il m’a laissé un héritage. Au-delà de la mort. Une synchronicité délirante à l’oreille des mortels. Je la dévoilerai lors d’un prochain article.

« La liste de Schindler » raconte l’histoire des camps. Des survivants. « Le porteur de fantôme » raconte celle de leurs enfants. Une catharsis de la deuxième et troisième génération. Je descends au cœur de la souffrance. Des secrets. Et, je suis vivant. Comme je ne l’ai jamais été, auparavant. Je vis ma vie, depuis cinq ans. Avant coupe-t-elle, ce n’était pas toi. 55 ans, ce n’était pas moi, ai-je dit. J’étais une guerre. La guerre de mes parents. Je comprends ce que tu dis. C’est tellement évident.

J’ai fait faillite. J’ai déposé mon bilan au Palais de Justice de Bruxelles, le 24 octobre 2000. Ephraïm est né le 24 octobre 1925. La descente de faillite s’est déroulée le 27 octobre 2000. Mon frère est né le 27 octobre 1945.
Deux frères devaient se rendre à Malines, l’équivalent de Drancy, pour le travail obligatoire. La famille a protégé l’aîné. En envoyant le cadet. Elle l’a condamné. Je suis le fils de l’un et je porte le prénom de l’autre.
Mon père n’a plus jamais revu son frère. Mon frère ne veut plus me parler.
J’avais une demeure. Un hôtel de Maître. 1.000 m2 dans l’avenue Molière. Celle qui est passée à la télé. Quand Hollande a gagné. Où, tous les riches Français voulaient habiter. Je l’ai vendue sur un coup de téléphone. Au Juif, le plus riche de Belgique.
Nous avons signé la vente le 18 septembre 2000. Ephraïm a été sélectionné le 18 septembre 1942.
Toutes les dates de sa vie, sont les dates de ma vie. Celles qu’on appelle les dates syndromes anniversaires.
J’étais connu comme un fils à papa. On disait le fils de. Je n’avais pas de prénom. Il serait temps de me faire un nom. J’étais connu comme un riche héritier. Et c’est vrai, je l’étais. Mais tout dépend de la notion qu’on donne aux mots riche et héritier.


L’homme de la banque qui est venu saisir nos stocks, où il y en avait pour des millions, a dit à sa collègue, en sortant de nos bureaux : « Ce Juif là, on la eu. » Parce que l’autre, l’ami des politiques, il n’a pu l’avoir.
Alors qu’il venait voler le travail d’une vie. Et que je pleurais. Il disait à plusieurs reprises : « Monsieur WIN, nous faisons ça pour vous, nous faisons ça pour votre bien ». Tout en me donnant des petites tapes dans le dos. D’affection. Il devait jouir dans son pantalon.

Il avait la trentaine. Il était propre, rasé de près. Il avait un costume de bonne facture. Je voyais un soldat allemand avec des bottes. Ne me demandez pas pourquoi. Ne me demandez pas comment.
Elle souffle. Je la coupe. Je ne la laisse pas parler. Je la tue. Par surprise.

J’étais un collectionneur d’art. L’un de mes premiers tableaux était un Alechinsky. Son titre était « Au temps du chemin de fer ».
La collection racontait une histoire. Je ne m’en doutais pas. Les noms des toiles et des peintres déclinaient mon histoire.

Lacan dit que l’inconscient est structuré comme un langage. Il s’étend longuement dans l’élaboration de l’inconscient sur l’importance du phonème, de la métaphore et de la métonymie. La métaphore est un mot pour un autre. La métonymie est un changement de nom. Ou un nom pour un autre.
Il parle de signifié et de signifiant. Il dit que le sujet connaît son histoire. L’inconscient est le chapitre censuré, marqué par un blanc ou un mensonge. On ne trouve jamais que ce qu’on a déjà trouvé.
J’ai pris du temps. Comme si j’hésitais. A la radio. Je réfléchissais comment dire. Le viol. De mon père. J’ai parlé de viol. Et j’ai zappé.

Tu n’as pas répondu à ses questions, dit-elle. Je voulais faire passer un message. Que les secrets de familles peuvent miner le devenir des enfants, petits-enfants… sur plusieurs générations.

Quelle que soit la honte attachée à un secret, elle est en deçà de ce que les enfants, les petits-enfants qui cherchent la vérité vont imaginer.

J’ai mis des décennies à comprendre. Ou à me souvenir. Les photos mentales. Comme une mémoire photographique ou cinématographique en couleurs, sons, images, odeurs, température etc. Les photos, les images d’un évènement peuvent se transmettre d’une génération à l’autre.

L’homme courrait dans les bois. Il était rattrapé par les bergers allemands qui arrachaient ses chairs. J’avais peur de retrouver ces images au cours d’histoire juive.
Je voyais mon grand-père assassiné. Au bout d’une pique. Ou comment dire la vérité ?
D’un chapitre de quelques lignes. A la radio. D’un manuscrit de 1000 pages.

En 1942, les Juifs descendaient des trains en forêt. Dans une clairière de bouleaux. Kremer attendait ses « moutons » aux pieds des wagons.

Je ne savais pas Kremer. Dans l’enfance. Je voyais des chiens. Arracher des chairs. Le même trouble. Des chairs arrachées. Apparaissait au moment de la fête de Hanoucca. Lorsque la maîtresse nous racontait le règne d’Antiochus IV Epiphanes.

Jusqu’à quelques mois avant la faillite, où j’achetais impulsivement au marché aux Puces, 18 planches d’anatomie du corps humain, qu’on appelle les écorchés. Un œil et un squelette.

Comment dire à la radio. En quelques minutes d’écoute. J’ai bâclé sans expliquer. L’impossible à dire.
J’habitais au 1er étage. Où, la guerre n’existait pas. J’étais leur guerre.

Les familles choisissent un enfant. Comme un bouc émissaire, elles lui font tout porter. A lui de se démerder. Alors qu’elles sont libérées.

J’allais écouter Auschwitz au deuxième étage. Où, les anciens du camp attendaient de se parler. Quand les autres n’étaient plus là. Et qu’ils ne faisaient pas attention à moi. Leurs conversations résonnent encore à mes oreilles. Comme le terme « muselman », en yiddish, la première fois que je l’ai entendu.

A la question sur la nudité, j’étais gêné. La nudité est un problème, quand on a un parent qui s’est fait violer. Les images des femmes nues aux pieds des fosses, à la télévision, en noir et blanc, étaient un cauchemar vivant. J’avais l’impression de les toucher. A six ans. Quand je n’aurais pas du les voir.

Quarante ans plus tard, alors que je retrouvais ces images sur une brochure, à l’entrée du Musée de Malines, j’étais tout aussi effrayé.

Quelques jours plus tard, j’écrivais le chapitre 68 de mon manuscrit. A la mémoire des victimes. Ou la mienne. A exorciser. Par les larmes.

J’ai balancé le devoir de nescience. A mes yeux. Le plus important à dire.
J’ai oublié la parentification. Où, l’enfant devient le parent de son propre parent.
Je vous prie de m’excuser. La violence du propos.
Je ne sais pas si j’ai raison. A chercher des voix. Ou des voies. De relais. A transmettre. Un dire. Qui ne concerne personne. Sinon un peuple tout entier. Qui se presse aux commémorations. D’une histoire collective. Tout en négligeant que la Shoah est avant tout 6.000.000 d’histoires personnelles.
A soigner la mémoire collective. On en oublie l’individuelle. Des familles. Troublées.
On peut dire alors, soixante dix ans après les faits, nous sommes toujours en deuil.
La solution est le rite. Mais personne n’écoute. A vous de comprendre. Ou m’offrir l’antenne. D’un livre. Pour ma part, je ne suis plus en deuil.



Rédigé le Jeudi 7 Mai 2015 modifié le Jeudi 7 Mai 2015
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