Le rituel : une renaissance
Si une personne présente les symptômes d’une pathologie mentale, ceci signifie qu’elle est « chevauchée » par un ou des esprits qu’il convient d’identifier dans le but d’empêcher ces esprits de se manifester. Les esprits « disciplinés » ne se manifesteront que quand ils seront autorisés à le faire et ainsi ne gêneront plus le patient. Ces esprits représentent des traits de caractère, des personnalités ou des formes cliniques identifiés par les tradipraticiens ou zima. La maladie exclut, le rituel inclut. Cet adorcisme s’oppose à l’exorcisme. Il y a un avant et un après la couvade : le patient a appris à reconnaître les esprits qui le chevauchent, il n’est plus seulement agi par eux mais il fait avec eux.
La couvade s’applique particulièrement à des pathologies chroniques anxieuses et dépressives récurrentes, certaines formes de schizophrénie, aux troubles bipolaires voire à une psychose puerpérale. La dépression réactionnelle n’en relève pas car les esprits passent mais ne s’arrêtent pas. Ce rituel est une renaissance pour le patient. Il l’intègre dans sa vie et sa communauté. J’ai eu la chance d’assister à plusieurs reprises à ce rituel grâce au Docteur Moussa Maman Bello, médecin béninois et tradipraticien.
Chaque couvade est unique
L’espace du rituel comprend la case de couvade, l’aire de danse à l’extérieur des cases et les différents lieux où sont situés les éléments sacrés : l’arbre, les pierres, la fourmilière… L’équipe soignante se compose des zima : thérapeutes ; des musiciens : violoniste, batteur de calebasse, joueurs de maracas et de tambour d’aisselle ; du groupe des femmes initiées, anciennes patientes, passées elles-mêmes par une couvade. L’identification des esprits a lieu sur la fourmilière sacrée. Le violoniste, accompagné des autres musiciens, joue la note qui déclenche la transe. L’esprit va alors se manifester. Les thérapeutes observent attentivement le déroulement de la transe et se concertent pour poser le diagnostic, c’est-à-dire l’identification de l’esprit. Il existe une véritable sémiologie de la transe. Ces transes sont motrices sans verbalisation, soulignant l’importance accordée à l’expression corporelle et la défiance à l’égard du langage qui pourrait être mal interprété.
Ceci se répète autant de fois qu’il y a d’esprits qui chevauchent le patient. Un sacrifice animal est effectué. Apprendre à reconnaître et vivre avec ses esprits : pendant dix à quatorze jours, se succèdent des transes à l’intérieur et à l’extérieur de la case, de jour et de nuit. Les esprits qui chevauchent le patient se manifestent de la même façon, dans le même ordre, en musique ; chaque esprit a une manière particulière d’arriver, de partir, de danser. Le patient apprend ces particularités pour chacun des esprits qui le chevauchent. Il est accompagné par les femmes initiées, encouragé par les thérapeutes au cours de séances d’apprentissage de danse. Selon les demandes des esprits, des sacrifices d’animaux sont effectués. Plusieurs étapes rituelles se succèdent : nuit des ancêtres, nuit des esprits, sortie rituelle en brousse pour une cueillette de feuilles, écorces, racines...
Au fil des jours, le patient se familiarise avec ses esprits, devient plus acteur, l’entrée en transe est plus rapide, les pas de danse plus assurés, les gestes plus souples. Lors de ces différentes phases, les zima et/ou les femmes initiées entrent eux-mêmes en transe.
La jarre sacrée
Parallèlement, au début de la couvade les zima installent, dans la case, la jarre sacrée au sommet de laquelle ils sèment du mil. La jarre est recouverte d’une calebasse et arrosée plusieurs fois par jour. L’ouverture de celle-ci, quelques jours après, est un moment important car si le mil a bien poussé, la couvade est réussie, occasion de nombreuses transes des patients, des femmes initiées et des tradipraticiens.
La couvade : un rituel aux nombreux éléments thérapeutiques
Le cadre spatial (case et différents lieux sacrés) et temporel (dix à quatorze jours), les croyances religieuses partagées (religion animiste), la présence d’éléments spirituels reliant les hommes au cosmos et à l’éternité, témoignent du caractère très élaboré et holistique de cette thérapie. La relation avec le thérapeute qui a posé l’indication s’étend ensuite à l’ensemble de l’équipe. Le nombre de personnes mobilisées pour un patient, le temps passé à vivre avec lui, l’attention soutenue portée aux manifestations des transes, le raccompagnement du patient chez lui par les thérapeutes à la fin de la couvade, montrent tout l’intérêt dont il est l’objet. Le processus d’externalisation des symptômes du patient sous la forme d’esprits est un des éléments thérapeutiques majeurs de ce rituel. Ce processus utilisé en hypnose, thérapies narratives... permet des modifications de perception, de représentations et une prise de distance. Il permet de ne pas réduire le patient à ses seuls symptômes.
La dénomination de « la possession par les esprits » est précieuse car elle délivre du sentiment de culpabilité, « le patient est le cheval de l’esprit qui se manifeste », il faut apprendre à faire avec ces esprits. S’agissant de pathologies chroniques, l’enjeu de la thérapie devient comment faire avec ces symptômes ? ; il y a dans la couvade un processus d’apprentissage permettant de reconnaître chaque esprit, une pacification de la relation avec ceux-ci. L’identification avec les femmes initiées et/ou les thérapeutes eux-mêmes chevauchés par des esprits, voire par les mêmes esprits que lui, est porteuse d’espoir de façon implicite : le patient peut s’identifier à eux qui ne sont plus seulement agis par leurs symptômes.
La prise en charge thérapeutique s’inscrit…. Lire la suite...
Si une personne présente les symptômes d’une pathologie mentale, ceci signifie qu’elle est « chevauchée » par un ou des esprits qu’il convient d’identifier dans le but d’empêcher ces esprits de se manifester. Les esprits « disciplinés » ne se manifesteront que quand ils seront autorisés à le faire et ainsi ne gêneront plus le patient. Ces esprits représentent des traits de caractère, des personnalités ou des formes cliniques identifiés par les tradipraticiens ou zima. La maladie exclut, le rituel inclut. Cet adorcisme s’oppose à l’exorcisme. Il y a un avant et un après la couvade : le patient a appris à reconnaître les esprits qui le chevauchent, il n’est plus seulement agi par eux mais il fait avec eux.
La couvade s’applique particulièrement à des pathologies chroniques anxieuses et dépressives récurrentes, certaines formes de schizophrénie, aux troubles bipolaires voire à une psychose puerpérale. La dépression réactionnelle n’en relève pas car les esprits passent mais ne s’arrêtent pas. Ce rituel est une renaissance pour le patient. Il l’intègre dans sa vie et sa communauté. J’ai eu la chance d’assister à plusieurs reprises à ce rituel grâce au Docteur Moussa Maman Bello, médecin béninois et tradipraticien.
Chaque couvade est unique
L’espace du rituel comprend la case de couvade, l’aire de danse à l’extérieur des cases et les différents lieux où sont situés les éléments sacrés : l’arbre, les pierres, la fourmilière… L’équipe soignante se compose des zima : thérapeutes ; des musiciens : violoniste, batteur de calebasse, joueurs de maracas et de tambour d’aisselle ; du groupe des femmes initiées, anciennes patientes, passées elles-mêmes par une couvade. L’identification des esprits a lieu sur la fourmilière sacrée. Le violoniste, accompagné des autres musiciens, joue la note qui déclenche la transe. L’esprit va alors se manifester. Les thérapeutes observent attentivement le déroulement de la transe et se concertent pour poser le diagnostic, c’est-à-dire l’identification de l’esprit. Il existe une véritable sémiologie de la transe. Ces transes sont motrices sans verbalisation, soulignant l’importance accordée à l’expression corporelle et la défiance à l’égard du langage qui pourrait être mal interprété.
Ceci se répète autant de fois qu’il y a d’esprits qui chevauchent le patient. Un sacrifice animal est effectué. Apprendre à reconnaître et vivre avec ses esprits : pendant dix à quatorze jours, se succèdent des transes à l’intérieur et à l’extérieur de la case, de jour et de nuit. Les esprits qui chevauchent le patient se manifestent de la même façon, dans le même ordre, en musique ; chaque esprit a une manière particulière d’arriver, de partir, de danser. Le patient apprend ces particularités pour chacun des esprits qui le chevauchent. Il est accompagné par les femmes initiées, encouragé par les thérapeutes au cours de séances d’apprentissage de danse. Selon les demandes des esprits, des sacrifices d’animaux sont effectués. Plusieurs étapes rituelles se succèdent : nuit des ancêtres, nuit des esprits, sortie rituelle en brousse pour une cueillette de feuilles, écorces, racines...
Au fil des jours, le patient se familiarise avec ses esprits, devient plus acteur, l’entrée en transe est plus rapide, les pas de danse plus assurés, les gestes plus souples. Lors de ces différentes phases, les zima et/ou les femmes initiées entrent eux-mêmes en transe.
La jarre sacrée
Parallèlement, au début de la couvade les zima installent, dans la case, la jarre sacrée au sommet de laquelle ils sèment du mil. La jarre est recouverte d’une calebasse et arrosée plusieurs fois par jour. L’ouverture de celle-ci, quelques jours après, est un moment important car si le mil a bien poussé, la couvade est réussie, occasion de nombreuses transes des patients, des femmes initiées et des tradipraticiens.
La couvade : un rituel aux nombreux éléments thérapeutiques
Le cadre spatial (case et différents lieux sacrés) et temporel (dix à quatorze jours), les croyances religieuses partagées (religion animiste), la présence d’éléments spirituels reliant les hommes au cosmos et à l’éternité, témoignent du caractère très élaboré et holistique de cette thérapie. La relation avec le thérapeute qui a posé l’indication s’étend ensuite à l’ensemble de l’équipe. Le nombre de personnes mobilisées pour un patient, le temps passé à vivre avec lui, l’attention soutenue portée aux manifestations des transes, le raccompagnement du patient chez lui par les thérapeutes à la fin de la couvade, montrent tout l’intérêt dont il est l’objet. Le processus d’externalisation des symptômes du patient sous la forme d’esprits est un des éléments thérapeutiques majeurs de ce rituel. Ce processus utilisé en hypnose, thérapies narratives... permet des modifications de perception, de représentations et une prise de distance. Il permet de ne pas réduire le patient à ses seuls symptômes.
La dénomination de « la possession par les esprits » est précieuse car elle délivre du sentiment de culpabilité, « le patient est le cheval de l’esprit qui se manifeste », il faut apprendre à faire avec ces esprits. S’agissant de pathologies chroniques, l’enjeu de la thérapie devient comment faire avec ces symptômes ? ; il y a dans la couvade un processus d’apprentissage permettant de reconnaître chaque esprit, une pacification de la relation avec ceux-ci. L’identification avec les femmes initiées et/ou les thérapeutes eux-mêmes chevauchés par des esprits, voire par les mêmes esprits que lui, est porteuse d’espoir de façon implicite : le patient peut s’identifier à eux qui ne sont plus seulement agis par leurs symptômes.
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Dr Catherine LELOUTRE-GUIBERT Psychiatre libérale au Mans. Formée à la thérapie familiale systémique puis à l’hypnose et aux thérapies brèves. Pratique l’hypnose depuis quinze ans, a fait une intervision avec François Roustang de 2006 à 2010. Formatrice à l’AFEHM depuis 2013. Présidente de l’association Hypnotic’Mans depuis 2012. S’intéresse aux thérapies traditionnelles africaines pour les maladies mentales, thérapies par danses de possession (au nord du Bénin).
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Revue Hypnose & Thérapies brèves n°57 version Papier
Achat du numéro 57 de la revue Hypnose & Thérapies Brèves en version papier
Prix TTC, frais de livraison compris pour la France métropolitaine.
Les frais de port seront ajustés automatiquement au cours de la commande pour tout achat hors France métropolitaine.
Lorsque la Version papier de ce numéro sera épuisée, la version PDF sera fournie à la place
N°57 Mai/Juin/Juillet 2020
- ÉDITORIAL : « Trouver une certaine sacralité de l’autre, humain et non-humain. » Aurélien Barrau. S. COHEN
- LA « BROSSOSPHÈRE ». G. BROSSEAU et A. FORTIN
- THÉRAPIES BRÈVES. W. MARTINEAU
- QI GONG ET HYPNOSE M. SÉJOURNÉ
- MÉDITATION ET HYPNOSE O. DE PALÉZIEUX
ESPACE : DOULEUR DOUCEUR
- Éditorial. H. BENSOUSSAN
- Adolescent mutique. S. COPEAU
- La lévitation en douleur chronique. A. BOUZINAC
DOSSIER : SE SENTIR VIDE
- Éditorial. D. VERGRIETE
- Vide, phobie et transe ordinaire J. BETBÈZE
- Creuser le vide S. LE PELLETIER-BEAUFOND
- Les vides. D. MEGGLÉ
- Vide et addictions. D. VERGRIETE
- QUI PROQUO, MALENTENDU ET. . .« Tout a une fin ! » S. COLOMBO, MUHUC
- Couvade en pays Dendi. C. LELOUTRE-GUIBERT
- Les Grands Entretiens: Elvira Lang. G. FITOUSSI
Livres en Bouche: H. BENSOUSSAN, C. GUILLOUX, L. BILLY, S. COHEN
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ESPACE : DOULEUR DOUCEUR
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- Adolescent mutique. S. COPEAU
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DOSSIER : SE SENTIR VIDE
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