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Vécus de détresse et de déliaison chez l’enfant en ITEP. Revue hypnose et thérapies brèves.

Comment construire une « rencontre » avec ces enfants en détresse traversés par des histoires de chaos et d’abandon ? En s’appuyant sur un tiers sécure et en jouant sur « le registre du lien » pour activer une re-liaison.
Arnaud Zeman



Vécus de détresse et de déliaison chez l’enfant en ITEP. Revue hypnose et thérapies brèves.
Le contexte de la rencontre

Accompagner des enfants de six à quatorze ans dans les instituts thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques (ITEP et DITEP, en dispositif) du secteur médico-social est une expérience troublante. Ayant des parcours de soin inhabituels (avec des hospitalisations), souvent accom - pagnés par des services de la protection de l’enfance, ces enfants âgés de quelques années ont pour la plupart traversé des épreuves et des expériences de vie douloureuses. Ces enfants expriment leurs difficultés et leur détresse par l’expression corporelle, par l’agressivité et par les comportements transgressifs. Ces manifestations ne peuvent pas laisser indifférent, elles font du bruit, elles sont visibles, elles interpellent. Bien qu’il soit difficile de savoir ce que ces enfants ont réellement traversé, tant ils sont peu loquaces concernant leur courte histoire de vie, le fait d’observer leurs manifestations et d’être attentif à ce qui se joue dans la relation permet d’identifier cette grande détresse. Les profils de ces enfants sont hétérogènes et il serait difficile de constituer un ensemble les rassemblant tous, tant ils sont différents. Toutefois, il n’est pas rare de rencontrer des enfants meurtris et cabossés, des enfants agités et perturbés par des histoires composées de propos insultants ou discréditants, d’actes inquiétants ou violents, comme s’ils avaient traversé un maelstrom de signes en contradiction, de perturbations, d’éclats, de chocs et d’inconfort. Cela construit chez eux une certaine conception ou vision du monde, ils sont « dans leur monde » comme on dit parfois, un monde traversé par des histoires de maltraitance, d’abandon et de chaos.

Les histoires de vie de ces enfants prennent des formes multiples, mais elles sont souvent organisées autour de la notion de survie. Du fait de ce maelstrom, les processus de sécurité relationnelle sont perturbés et une difficulté à être en lien s’installe, l’inquiétude et le repli s’immiscent, pour laisser place à un monde de méfiance et de peur. Leur réseau relationnel s’appauvrit et il tend à se réduire de plus en plus.

L’expression de cette grande détresse chez ces enfants s’exprime par l’agir plutôt que la parole (et encore moins d’élaboration) et par l’agressivité plutôt que par l’explication ou le dialogue. Quoi qu’il en soit, le plus souvent la problématique de ces enfants ne s’articule pas autour d’un ou de plusieurs événements identifiés, que l’enfant pourrait verbaliser et organiser en un tableau de type traumatique ; il est néanmoins difficile de ne pas y songer.

Raphaël en proie à un chaos intérieur

Raphaël est un enfant qui arrive dans l’établissement avec un air un peu hagard, comme s’il avait été déposé là par erreur, comme si son passage s’avérait temporaire et qu’il allait rapidement retourner chez lui ou ailleurs. En observant Raphaël, la singularité de cet enfant apparaît : un regard bleu clair et perdu, un visage rond et peu expressif, une manière de parler avec des phrases incomplètes faites de trous et une prononciation très approximative. Parmi d’autres traits de sa personnalité, on peut s’arrêter sur sa focalisation massive concernant le football qui le conduit à annoncer régulièrement aux adultes un nombre de buts improbable : « j’ai marqué 68 buts au dernier match », qui obtient comme seule réponse de ce dernier un visage passif et incrédule.

Plusieurs difficultés (un retard scolaire important, une vision du monde décalée et des histoires difficiles à comprendre) conduisent l’équipe à envisager une réorientation en IME. Toutefois, à la suite d’une évaluation cognitive, la surprise fut grande lorsque les résultats ont mis en évidence l’absence de « retard intellectuel » !

Un aspect marquant de son comportement est celui d’entrer ponctuellement et sans prévenir dans des états de rage qui nécessitent systématiquement l’intervention de plusieurs adultes afin de l’arrêter, tant la violence hétéro et auto-agressive est importante. Dans ce moment, Raphaël semble hors de lui, totalement inaccessible, en proie à un mécanisme qui le dépasse et semble tout emporter sur son passage : une sorte de tsunami intérieur qui explose à l’extérieur. A la fin de la première crise qui a duré probablement une heure, composée de cris, de larmes, de sueur et d’insultes, il finit par s’endormir. Lors d’une énième crise, je suis appelé par les éducateurs. En arrivant, les hurlements et les tensions sont extrêmes. Toutefois les éducateurs parviennent à le maintenir de manière à ce qu’il ne blesse personne, ni autrui, ni lui-même. Comme les autres fois, je m’approche de lui afin de chercher à entrer en lien, à établir une connexion, tant Raphaël est hors de lui dans ces moments-là.

Pour y parvenir, je lui demande l’autorisation de mettre une main sur son épaule. Les cris se poursuivent mais à un moment Raphaël profère une insulte violente : « je vais la tuer cette p... de Sylvie ». Il s’agit de son enseignante, heureusement absente de la pièce. Je me saisis de cette phrase et lui demande : « c’est qui cette p... ? », afin de rester sur le même canal de communication. Il m’indique que c’est l’enseignante et précise dans un hurlement qu’il veut la tuer, et brusquement il se jette en avant comme pour joindre l’acte à la parole. Je poursuis en lui disant :

- Thérapeute : « OK, tu veux la tuer, et alors, que va-t-il se passer ensuite ?
- Raphaël : Je vais la tuer, je vais la tuer.
- Th. : Oui, j’ai compris, tu vas la tuer. Et après ? Il se passe quoi après ? Pour toi ? (mes phrases sont courtes et ma voix est forte afin de rester au plus proche de son registre de communication).
- Raphaël : Je serai tranquiiiiiille. Je serais tranquiiiiiille quand j’aurai tuer cette p...
- Th. : OK, donc tu vas la tuer pour être tranquille ?
- Raphaël : Ouiiiiii ! (en hurlant, et premier message positif).
- Th. : OK, donc tu veux être tranquille ?
- Raphaël : Ouiiiiii ! (proche du précédent).
- Th. : OK, tu as le droit de vouloir être tranquille. C’est ça que tu veux, être tranquille ? (répétion volontaire).
- Raphaël : Ouiiiiii !
- Th. : OK, et ce sera comment dans ton corps ?
- Raphaël : Bien, je serai tranquille.
- Th. : Je comprends. » A partir de ce moment, Raphaël s’apaise un tout petit peu et on com - mence à entamer un échange légèrement plus construit. A l’intérieur de la crise, Raphaël est pris dans un monde vide de liens, dans lequel l’autre se dérobe, s’éclipse. Ce n’est pas tant que Raphaël s’en détourne, mais plutôt qu’il n’a plus accès à la relation, l’autre s’absentant et devenant inaccessible. Dans ce monde structuré par la déliaison, Raphaël est hors de lui, dans une sorte de chaos, où la violence du comportement et du verbe fait écho à un monde de destruction, dont le thème principal est le meurtre. Un chaos extérieur qui cherche à traduire un chaos intérieur.

La personne qui vient à Raphaël n’est pas une personne rassurante mais 37. bien au contraire une personne agressive, voire persécutrice. Ce qu’il est important de repérer, c’est que si l’accès à ce tiers est refusé à l’enfant, en disant par exemple « je t’interdis de parler ainsi de ma collègue », aucun tiers ne peut venir et l’enfant est dans l’impossibilité de retrouver un lien, quelqu’un, un autre, même si cet autre se situe sur le registre de l’agressivité ou du combat. C’est à partir de cette figure, même agressive, qu’un retour à une relation dans le présent est possible. Depuis ce chaos, c’est lorsqu’arrive un début de lien, un fil, une voix, ou toute autre forme de tentative de reliaison ou de connexion, même imperceptiblement, que Raphaël parvient à attraper ce fil et à sortir tout doucement de ce monde chaotique (on pense au fil d’Ariane dans le dédale).

Cette présentation de la situation de Raphaël exprime clairement la dimension chaotique de ce dans quoi il se perd, que l’on peut appeler les « mondes chaotiques » ou les « mondes traumatiques », où l’absence de lien au monde et à l’autre en constitue les critères et les déterminants. Comment Raphaël est-il entré dans ce monde ? Comment un tel monde peut-il recouvrir le monde commun et relationnel au point de ne plus percevoir la présence d’autrui, de ne plus sentir son propre corps, au point d’être envahi par un monde de destruction ? S’il ne s’agit pas nécessairement d’un événement traumatique particulier, en tout cas Raphaël est entré dans un monde traumatique, qui se révèle lors de la crise.

Aline et Sophie en manque de tiers sécure

La première fois que j’ai rencontré Aline, c’était au sortir du véhicule qui la ramenait du foyer dans notre établissement ITEP. Elle est sortie visiblement très mécontente, jetant son sac au sol en disant : « c’est de la merde ! ». Elle s’éloigne du véhicule et déambule en continuant à s’agiter avec agressivité. Elle ne me connaît pas et en me voyant, elle m’a personnellement salué en me disant : « t’as une tête de chien ». Je lui ai tout de même dit « bonjour » et j’ai décidé de lui parler le moins possible, à distance, en l’observant, vigilant à ce qu’il n’y ait pas d’incident. Elle continue ainsi à se mettre à l’écart, lançant des insultes aux personnes qui l’ont déposée et qui, sur mon invitation, repartent. Les insultes se portent alors sur un peu tout : là où elle est, une porte, une fenêtre, un arbre. Elle jette son manteau à terre et marche dessus, elle saute négligemment dans les flaques d’eau et recouvre ses souliers de boue. Aline s’affirme, c’est le moins que l’on puisse dire, elle semble révoltée, sans concession, rejetant ciel et terre d’un même élan. Sans le savoir, elle semble avoir une attitude littéralement « punk » (genre musical rock : agressif et radical). Plus tard, des éléments d’histoire sur Aline mettent en évidence un placement en foyer en rapport avec des faits de maltraitance au domicile et de soupçons d’abus par le père….

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ARNAUD ZEMAN

Psychologue clinicien. Psychologue en libéral. Psychologue en ITEP (Institut thérapeutique, éducatif et pédagogique). Formateur en hypnose ericksonienne à l’Institut Milton Erickson de Nantes (ARePTA), à la Faculté de Psychologie de Nantes et au DU d’hypnose. Superviseur.

Commander le Hors-Série de Revue Hypnose & Thérapies Brèves sur le Psychotraumatisme


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Rédigé le Mercredi 25 Septembre 2024 modifié le Jeudi 17 Octobre 2024
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Laurent Gross
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