La figure composite du « chamane » s’est répandue en Occident au XVIIIe siècle pour éclairer un ensemble de rites et de croyances animistes chez les peuples traditionnels. Des études anthropologiques ont souligné la cohérence de la pensée chamanique et du rôle social du chamane pour sa communauté, en tant qu’intercesseur du monde surnaturel, barde, devin et guérisseur. Il existe un « chamanisme » dans la plupart des sociétés traditionnelles, bien que ce terme ne soit pas employé par ces cultures. Les voies spirituelles chamaniques ne séparent pas l’homme de la nature, et l’officiant va traiter ensemble corps et esprit, notamment par l’entrée en état modifié de conscience. Nos contemporains sont à la recherche de méthodes alternatives de soin, et les diverses formes de chamanisme viennent y apporter des réponses.
Ma curiosité envers le chamanisme allait croissant depuis la découverte de l’hypnose auprès de praticiens comme François Roustang ou Jean-Louis Lamande, l’inventeur de la perceptude, qui a passé des années en compagnie des guérisseurs touareg. La présence de ces hypnothérapeutes et leur pratique de la transe amenaient dans un état où l’esprit s’incarnait, où le corps devenait vivant. Cet autre mode de perception que l’on peut nommer perceptude, écrit François Roustang, « est marqué par la continuité et la prise en compte de tous nos liens avec le monde ». Ils m’ont mis sur la piste des chamanes, qui d’après eux pouvaient servir de modèle à notre action thérapeutique. Outre l’étude de l’hypnose, j’ai lu les témoignages des guérisseurs Sioux Lakota, et les similitudes m’ont frappé. Pour en avoir le coeur net, je suis parti à la rencontre de Siegfried Haehne qui guide des huttes à sudation, et de Rick Tarin, un véritable « hommemédecine » dans la tradition lakota.
Les Lakota, comme tous les peuples traditionnels, vivent une spiritualité qui passe par le domaine physique, la mise en acte dans le quotidien. Au-delà des différences culturelles, l’insistance sur la posture du « guérisseur » occidental est centrale dans l’hypnose. Milton Erickson, le « Magicien du Désert », était entièrement impliqué dans sa présence auprès des patients. C’est par son attention extrême qu’il entrait en transe et ouvrait ses perceptions à des informations subtiles ayant échappé à la plupart des observateurs. Une chose est sûre, les peuples traditionnels maîtrisent naturellement la transe. Leurs guérisseurs se placent eux-mêmes en état de perceptude, s’ouvrant au monde humain et non humain, et y invitant leurs patients.
Et de ce fait, d’après Siegfried Haehne, « la transe n’est pas utilisée, elle s’induit d’ellemême. Comme état de conscience modifié, elle n’est pas un but en soi, mais une conséquence d’un état d’esprit et d’un environnement, d’une scénographie propre au rituel ». Les portes d’entrée de cet état non ordinaire de conscience sont sensorielles. L’anthropologue Michel Nachez l’a démontré, avec cinq composantes : jeûne, rythme répété du tambour, chant, températures extrêmes, obscurité. Selon la sensibilité de chacun, ces inducteurs peuvent modifier profondément les perceptions, permettre de s’abandonner à son ressenti en laissant le mental en veille. Fort du lien entre transe et hypnose, j’ai voulu en faire l’expérience, à travers le rituel du bain de vapeur ou hutte à sudation (« sweat lodge »). C’est une ancienne pratique de purification rituelle dont l’on retrouve des traces à travers la planète, qui s’est transmise jusqu’à nos jours.
Le terme sioux inipi signifie littéralement « ils renforcent leur vie ». La structure de la hutte faite de branches de saule est habillée de couvertures pour offrir une obscurité totale. On bâtit un brasier où les pierres sont placées, les participants pénètrent dans la loge quand elles sont prêtes. Assis à même le sol de terre battue, l’obscurité se fait enveloppante. On introduit les pierres incandescentes, sur lesquelles l’officiant verse de l’eau. La vapeur fait monter la chaleur jusqu’à des températures élevées. Enfin, les battements du tambour et les chants lakota qui s’élèvent, tout cela crée une atmosphère propice à la transe. La chaleur est si intense qu’il ne devient plus possible de se dissocier de l’expérience. Si je fais le parallèle avec l’hypnose, nous avons appris à inviter cette confusion salutaire, passage vers un autre état de conscience. Les chants, dont le sens m’échappe par les mots, sont ressentis au niveau de l’intention véhiculée : un air de joie, de bravoure, de vulnérabilité aussi. La notion du temps m’échappe. Tout mon corps semble plus vivant, plus lourd, se détend à mesure que la température monte. Le monde acquiert une présence accrue. Après ce bain de vapeur, les participants partagent un repas, qui fait également partie du rituel. Le visage, la voix et la présence corporelle de tous ont changé grâce à cette pratique. Les Lakota ont cette devise, « Mitakuye Oyasin », que l’on traduit par « à tous les miens » ou « toute ma parenté », au sens large de tout ce qui est. Car pour eux notre existence humaine est intimement liée au monde, les pierres, la terre, l’eau, le soleil, qui constituent notre parenté. En effet, après la hutte la nature me paraît plus présente, alors que ma perception s’est affinée, ouverte, rendue disponible.
« Les Sioux traditionnels vivent entièrement d’une manière spirituelle, en lien à leur environnement. Le grand homme-médecine Frank Fools Crow, mort à 99 ans, disait : “Tout le monde peut faire ce que je fais, à condition de vivre comme je vis.” Il disait aussi qu’il faut agir de la bonne manière, ce qui suppose l’accord total entre les paroles et les actes, avec une confiance absolue dans ce que l’on entreprend pour le malade. Voilà comment les guérisseurs travaillent, dans le respect de toute vie », ajoute Siegfried Haehne. Au cours de cette inipi, j’ai ressenti les fondamentaux d’être en communauté, et du partage dans le soin. D’abord, l’implication du guérisseur dans son acte, qui doit être incarné profondément dans sa vie, est le garant de son efficacité.
Ensuite le patient doit s’impliquer tout autant dans le processus. Siegfried Haehne explique : « Le soin pour être efficace est un travail altruiste. Il s’appuie sur l’intention. Elle constitue un vrai besoin exprimé par une personne, et non un simple souhait. Elle entre en relation avec le domaine spirituel, que les Indiens nomment monde des esprits. Selon cette vision, ce n’est donc pas le guérisseur qui soigne le patient, son rôle est de servir d’intermédiaire entre ce qui est visible et ce qui ne l’est pas. Ce sont les esprits qui font le travail. »... Lire la suite...
Ma curiosité envers le chamanisme allait croissant depuis la découverte de l’hypnose auprès de praticiens comme François Roustang ou Jean-Louis Lamande, l’inventeur de la perceptude, qui a passé des années en compagnie des guérisseurs touareg. La présence de ces hypnothérapeutes et leur pratique de la transe amenaient dans un état où l’esprit s’incarnait, où le corps devenait vivant. Cet autre mode de perception que l’on peut nommer perceptude, écrit François Roustang, « est marqué par la continuité et la prise en compte de tous nos liens avec le monde ». Ils m’ont mis sur la piste des chamanes, qui d’après eux pouvaient servir de modèle à notre action thérapeutique. Outre l’étude de l’hypnose, j’ai lu les témoignages des guérisseurs Sioux Lakota, et les similitudes m’ont frappé. Pour en avoir le coeur net, je suis parti à la rencontre de Siegfried Haehne qui guide des huttes à sudation, et de Rick Tarin, un véritable « hommemédecine » dans la tradition lakota.
Les Lakota, comme tous les peuples traditionnels, vivent une spiritualité qui passe par le domaine physique, la mise en acte dans le quotidien. Au-delà des différences culturelles, l’insistance sur la posture du « guérisseur » occidental est centrale dans l’hypnose. Milton Erickson, le « Magicien du Désert », était entièrement impliqué dans sa présence auprès des patients. C’est par son attention extrême qu’il entrait en transe et ouvrait ses perceptions à des informations subtiles ayant échappé à la plupart des observateurs. Une chose est sûre, les peuples traditionnels maîtrisent naturellement la transe. Leurs guérisseurs se placent eux-mêmes en état de perceptude, s’ouvrant au monde humain et non humain, et y invitant leurs patients.
Et de ce fait, d’après Siegfried Haehne, « la transe n’est pas utilisée, elle s’induit d’ellemême. Comme état de conscience modifié, elle n’est pas un but en soi, mais une conséquence d’un état d’esprit et d’un environnement, d’une scénographie propre au rituel ». Les portes d’entrée de cet état non ordinaire de conscience sont sensorielles. L’anthropologue Michel Nachez l’a démontré, avec cinq composantes : jeûne, rythme répété du tambour, chant, températures extrêmes, obscurité. Selon la sensibilité de chacun, ces inducteurs peuvent modifier profondément les perceptions, permettre de s’abandonner à son ressenti en laissant le mental en veille. Fort du lien entre transe et hypnose, j’ai voulu en faire l’expérience, à travers le rituel du bain de vapeur ou hutte à sudation (« sweat lodge »). C’est une ancienne pratique de purification rituelle dont l’on retrouve des traces à travers la planète, qui s’est transmise jusqu’à nos jours.
Le terme sioux inipi signifie littéralement « ils renforcent leur vie ». La structure de la hutte faite de branches de saule est habillée de couvertures pour offrir une obscurité totale. On bâtit un brasier où les pierres sont placées, les participants pénètrent dans la loge quand elles sont prêtes. Assis à même le sol de terre battue, l’obscurité se fait enveloppante. On introduit les pierres incandescentes, sur lesquelles l’officiant verse de l’eau. La vapeur fait monter la chaleur jusqu’à des températures élevées. Enfin, les battements du tambour et les chants lakota qui s’élèvent, tout cela crée une atmosphère propice à la transe. La chaleur est si intense qu’il ne devient plus possible de se dissocier de l’expérience. Si je fais le parallèle avec l’hypnose, nous avons appris à inviter cette confusion salutaire, passage vers un autre état de conscience. Les chants, dont le sens m’échappe par les mots, sont ressentis au niveau de l’intention véhiculée : un air de joie, de bravoure, de vulnérabilité aussi. La notion du temps m’échappe. Tout mon corps semble plus vivant, plus lourd, se détend à mesure que la température monte. Le monde acquiert une présence accrue. Après ce bain de vapeur, les participants partagent un repas, qui fait également partie du rituel. Le visage, la voix et la présence corporelle de tous ont changé grâce à cette pratique. Les Lakota ont cette devise, « Mitakuye Oyasin », que l’on traduit par « à tous les miens » ou « toute ma parenté », au sens large de tout ce qui est. Car pour eux notre existence humaine est intimement liée au monde, les pierres, la terre, l’eau, le soleil, qui constituent notre parenté. En effet, après la hutte la nature me paraît plus présente, alors que ma perception s’est affinée, ouverte, rendue disponible.
« Les Sioux traditionnels vivent entièrement d’une manière spirituelle, en lien à leur environnement. Le grand homme-médecine Frank Fools Crow, mort à 99 ans, disait : “Tout le monde peut faire ce que je fais, à condition de vivre comme je vis.” Il disait aussi qu’il faut agir de la bonne manière, ce qui suppose l’accord total entre les paroles et les actes, avec une confiance absolue dans ce que l’on entreprend pour le malade. Voilà comment les guérisseurs travaillent, dans le respect de toute vie », ajoute Siegfried Haehne. Au cours de cette inipi, j’ai ressenti les fondamentaux d’être en communauté, et du partage dans le soin. D’abord, l’implication du guérisseur dans son acte, qui doit être incarné profondément dans sa vie, est le garant de son efficacité.
Ensuite le patient doit s’impliquer tout autant dans le processus. Siegfried Haehne explique : « Le soin pour être efficace est un travail altruiste. Il s’appuie sur l’intention. Elle constitue un vrai besoin exprimé par une personne, et non un simple souhait. Elle entre en relation avec le domaine spirituel, que les Indiens nomment monde des esprits. Selon cette vision, ce n’est donc pas le guérisseur qui soigne le patient, son rôle est de servir d’intermédiaire entre ce qui est visible et ce qui ne l’est pas. Ce sont les esprits qui font le travail. »... Lire la suite...
Nicolas D’ INCA Psychologue clinicien, hypnothérapeute. A appris, pratiqué et écrit sur la psychanalyse, la méditation, la philosophie. Consultant en institution de 2006 à 2017, il se consacre depuis à son activité libérale à Paris. Initié par François Roustang, il s’oriente vers l’hypnose, se forme auprès de ses proches collaborateurs et divers instituts. Etudie la transe dans d’autres traditions, dont l’art et le chamanisme pour leur dimension d’expérience vivante.
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Lorsque la Version papier de ce numéro sera épuisée, la version PDF sera fournie à la place
- Èditorial : «La simplicité est la sophistication suprême»
- Ressources et compétences. B. DUBOS
- Pratiques narratives et hypnose B. DAMERON
- L’inattendu, force de changement S. LE PELLETIER-BEAUFOND
ESPACE : DOULEUR DOUCEUR
- Éditorial. H. BENSOUSSAN
- Les suggestions post-hypnotiques M. GALY
- Thérapies systémiques brèves et addictions. O. COTTENCIN
DOSSIER: HYPNOSE et MEDITATION
- Mindfulness ou pleine conscience. O. DE PALÉZIEUX
- Hypnose et méditation O. DE PALÉZIEUX
- DU de Mindfulness - Jean Sixou O. DE PALÉZIEUX
- Burn-out et méditation. M. COLOMBEL
- Dialogue socratique... O. DE PALÉZIEUX
- « Je collapse… » S. COLOMBO, MUHUC
- La présence au corps, encore A. CHABOCHE
- La hutte à sudation. N. D’INCA
- Les Grands Entretiens: Eric Bonvin. G. FITOUSSI
- Livres en Bouche S. COHEN, C. GUILLOUX
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ESPACE : DOULEUR DOUCEUR
- Éditorial. H. BENSOUSSAN
- Les suggestions post-hypnotiques M. GALY
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