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Troubles alimentaires chez les jeunes. Elisa Valteroni dans le Hors-Série Revue Hypnose et Thérapies Brèves 17

Le but de cet article est de présenter le traitement des troubles alimentaires atypiques et/ou multi-symptomatiques chez l’enfant et l’adolescent selon le modèle de la thérapie stratégique de Giorgio Nardone.



Troubles alimentaires chez les jeunes. Elisa Valteroni dans le Hors-Série Revue Hypnose et Thérapies Brèves 17
Introduction

Au cours des trois dernières années (2020-2022), le centre de thérapie stratégique d’Arezzo en Italie a accueilli un nombre toujours plus important de patients présentant des troubles alimentaires (essentiellement l’anorexie, mais aussi des situations de boulimie ou de « binge eating ») associés à des troubles psychiatriques relevant de l’axe 1 du DSM, c’est- à-dire des troubles graves d’anxiété généralisée, troubles de conversion, comportements d’auto-agressivité, dépressions avec évocation suicidaire ; et, sur l’axe des troubles de la personnalité, des troubles borderline ou des aspects dysharmoniques de la personnalité. Dans la plupart des cas il s’agit de très jeunes patients, de moins de 18 ans, seuil nécessaire pour pouvoir poser le diagnostic de troubles de la personnalité.

Le traitement psychopharmacologique proposé dans ces situations consiste le plus souvent dans l’administration d’antipsychotiques, de thymorégulateurs, d’hypnotiques ou d’anxiolytiques. On retrouve la même augmentation de ce type de situations dans la littérature interna- tionale, dans les données issues des services de neuropsychiatrie infantile ou dans celles des structures dédiées au traitement des désordres alimentaires. En général, pendant la période de la pandémie, on a enre- gistré au niveau mondial une augmentation du nombre de jeunes patients hospitalisés pour anorexie ou nécessitant une prise en charge ambulatoire pour des raisons de troubles alimentaires. Le développement d’un modèle d’intervention efficace et efficient pour débloquer les patterns perception-réaction, et adapté aux particularités de ces patients, est donc devenu d’autant plus nécessaire.

Caractéristiques cliniques des patients

Dans la plupart des cas, il s’agit de jeunes filles ayant un indice de masse corporelle normal (parfois en léger surpoids ou petite insuffisance pondérale) et présentant des conduites alimentaires mécaniques, alternées avec des épisodes de boulimie associés à des vomissements provoqués ou à des conduites de compensation (restriction alimentaire ou usage de laxatifs). Elles ont un passé récent d’anorexie grave pour laquelle elles ont été hospitalisées, et même si leur régime alimentaire est celui établi par leur prise en charge et contrôlé par les parents, leur perception de la nourriture et leur rapport au corps est encore typiquement celui de l’anorexie.

Tout contact social
est vécu comme un risque
de jugement négatif ou de rejet...


La nourriture reste perçue comme une menace pour le corps désiré et en particulier les aliments qui leur plaisent. Le moment du repas est vécu comme une obligation entraînant un niveau élevé d’anxiété et d’agitation. Elles se sentent enfermées dans un corps trop gras et trop gros qui échappe à leur contrôle. Elles évitent les miroirs ou au contraire se regardent de façon obsessionnelle avec des accès de colère ou des gestes d’automutilation. Ces gestes d’automutilation peuvent présenter un caractère apaisant ou bien procurer du plaisir. Elles passent leur journée à la maison avec des plaintes ou des reproches adressés aux parents. Elles sont déscolarisées et n’ont plus de relations sociales à l’exception de celles issues des hospitalisations. Dans cet état de vide chronique, les heures passent très lentement, entre des périodes de somnolence et l’absence de toute activité agréable. Les sollicitations de la famille pour proposer une stimulation sont systématiquement repoussées.

Leur faible seuil de tolérance à la frustration les conduit à des moments de colère avec des attaques verbales des parents ou l’impulsion incontrôlable de se faire du mal. Chez ces patientes les perceptions d’inadaptation, d’imperfection et d’incapacité dominent et conduisent à une dévalorisation d’elles-mêmes et à une surévaluation des autres. Tout contact social est vécu comme un risque de jugement négatif ou de rejet, qui provoque soit de l’évitement soit des tentatives de coller à un standard de perfection absolue.

Le pattern perception/réaction qui en découle se présente ainsi : perception d’une inadaptation tentative préparatoire pour être parfaites esthétiquement et dans leur comportement brutal et anormal vécu de frustration du fait de l’impossibilité d’atteindre la perfection avec l’abandon du projet d’exposition colère et agitation auto-agressive avec une fermeture défensive accompagnée d’un sentiment d’impuissance et de douleur qui augmente la perception d’incapacité.

En plus, elles présentent des difficultés significatives d’attention et de concentration avec des troubles de la mémoire imputables aussi bien à la faiblesse thymique qu’aux traitements pharmacologiques. Ces déficits conditionnent la communication thérapeutique qui devra s’adapter à cette diminution des capacités d’attention et d’élaboration des informations

Principales caractéristiques du système familial

Les parents sont souvent très tendus dans la présentation des problèmes de leur fille. Le plus souvent ils déclarent avoir renoncé à exercer une autorité parentale, ils n’établissent plus de règles ou de sanctions tant ils craignent les réactions de leur fille et ses accès d’impulsivité.

... les parents disent ne plus savoir quoi faire, avoir tout tenté et que cette thérapie
est leur dernier espoir


Hyperprotecteurs, ils écoutent les plaintes et ils cherchent à calmer les crises de colère par des raisonnements rassurants. Dans la plupart des cas, il y a une recherche continuelle de contacts physiques aussi bien de la part des patientes que de leurs parents, y compris la nuit, au point que la mère et la fille dorment souvent ensemble (parfois en prévention des gestes d’automutilation). Le modèle de communication redondant des parents est focalisé sur les aspects problématiques de la maladie de leur fille avec des demandes permanentes du type « comment vas-tu ? », « comment te sens-tu ? »...

S’il y a d’autres frères et sœurs à la maison, ils sont « laissés de côté », ce qui suscite chez le père et la mère beaucoup de perplexité et de culpabilité dans la mesure où ils reconnaissent porter l’essentiel de leur attention sur leur fille « malade ». Dans la plupart des cas, la mère a même laissé son travail ou réduit considérablement son temps de travail pour se dédier à sa fille.


Troubles alimentaires chez les jeunes. Elisa Valteroni dans le Hors-Série Revue Hypnose et Thérapies Brèves 17
Processus thérapeutique

Le premier rendez-vous est souvent précédé par un échange télé- phonique avec les parents qui peuvent aussi envoyer une longue description clinique de leur fille et des excuses anticipées pour les comportements de refus ou de mutisme qu’elle pourrait avoir. Ils disent ne plus savoir quoi faire, avoir tout tenté et que cette thérapie est leur dernier espoir.

Première phase

Définition opératoire du problème et des objectifs à court terme élaborés avec la patiente. Accordage sur le vécu émotionnel, sur la perception d’insatisfaction vis-à-vis du corps et sur la fonction des comportements d’automutilation.

La première séance se fait avec la famille. Une fois installée, nous prévenons que nous donnerons d’abord la parole aux parents puis que nous laisserons la place pour faire « ce qui convient à tout enfant, puisque nous restons enfant quel que soit notre âge, c’est-à-dire de contredire nos parents, ou bien de confirmer, ajouter, redéfinir ce qu’ils ont dit par rapport au problème ». La première question adressée aux parents est « quel est le problème qui vous amène ? ». Dans la plupart des cas c’est la mère qui répond et décrit le problème, et le père hoche la tête. Pendant que les parents parlent, la fille garde les yeux fixés vers le bas avec un comportement non verbal de fermeture et de désintérêt.

Quand nous nous adressons à la fille, elle peut ne pas répondre ou affirmer qu’elle partage la vision de ses parents pour se renfermer dans le silence. Les questions classiques de définition de l’objectif selon le modèle « problem oriented » ou « solution oriented » : « Qu’est-ce qui devrait changer dans ta vie pour que tu puisses me dire merci, vous m’avez aidé à résoudre le problème ? » Ou bien la question miracle et les variantes de celle-ci sont inopérantes à ce stade-là. Si elles sont posées, la réponse est toujours : « je ne sais pas », ou le silence. Ces jeunes filles sont « des demoiselles muettes qui hurlent à l’intérieur ».

... « l’ennemie travestie en amie (l’anorexie mentale) a imposé une perception mensongère en se présentant comme une armure défensive et anesthésiante... »

Les techniques qui ont fait la preuve de leur efficacité sont celles de l’anticipation qui tend à s’adapter au modèle perception/réaction de la jeune fille et à favoriser une proximité relationnelle, préalable à l’ouverture de la patiente pour définir des objectifs. Adoptant un positionnement « one down », on exprime que « probablement elle n’a aucune envie de se trouver avec nous face à un professionnel de plus, s’ajoutant à une longue série de ceux qui prétendaient entrer dans son monde sans y avoir été invités »... et on essaye de nous accorder au vécu perceptif et émotionnel qui domine.

Colère et douleur sont les seules émotions possibles pour qui est piégé par « l’ennemie travestie en amie (l’anorexie mentale), qui a d’abord imposé une perception mensongère en se présentant comme une armure défensive et anesthésiante, pour ensuite devenir subrepticement une prison avec des barreaux toujours plus étroits et robustes, jusqu’à devenir une arme qui blesse et paralyse jusqu’à la mort psychologique et somatique. La colère est l’émotion inévitable pour qui perçoit que ses propres besoins existentiels sont bafoués et en particulier le besoin d’avoir une image esthétique qui traduise ce que nous souhaitons être. Colère aussi pour qui perçoit avoir renoncé à lui-même, avoir trahi ses propres talents, ses propres passions, ses propres projets, ses rêves... Colère comme indispensable sirène d’alarme psychobiologique pour mobiliser les ressources en vue de satisfaire les besoins, douleur pour qui se condamne à se perdre lui-même... »

L’accordage sur la fonction des comportements d’automutilation comme modalité exclusive pour trouver un espace de plaisir et pour la sédation des émotions perturbantes. Pour cette étape on peut utiliser l’aphorisme d’Epicure : « Personne voyant le mal ne le choisit, mais attiré par l’appât d’un bien par un mal plus grand que celui-ci, l’on est pris au piège. » Ces modes de communication en présence des parents ont une finalité thérapeutique sur la fille mais aussi sur les parents, dans la mesure où cela restructure la vision typiquement médicale du problème de la fille considérée comme atteinte d’une pathologie grave et incompréhensible. Seulement alors on demande à la fille si elle souhaite que ses parents sortent ou si elle préfère qu’ils restent avec elle. Dans la plupart des cas elles acceptent qu’ils sortent et cela donne une indication significative sur le contact relationnel établi et sur son intérêt à investir la relation thérapeutique.

Il est désormais possible de poser des questions stratégiques discriminantes pour s’accorder sur les premiers objectifs thérapeutiques et définir les prescriptions de tâches. Le langage verbal doit refléter l’ambivalence de ces patientes vis-à-vis de la possibilité d’aller mieux ou d’être « normales ». Du coup nous acceptons et exprimons que « la souffrance de ce qui est connu est parfois plus supportable que celle de l’inconnu qui pourrait permettre de ne plus souffrir. On peut quitter le refuge du mal-être sans perdre de vue la possibilité d’y retourner, à tout instant on...


Pour lire la suite de cet article de la revue...




ELISA VALTERONI

Psychologue et psychothérapeute. Elle est spécialiste en psychothérapie brève et chercheuse en clinique pour le centre de thérapie stratégique d’Arezzo en Italie. Professeure d’université, elle enseigne les techniques d’intervention en psychologie stratégique et en psycho- thérapie pour l’école spécialisée en psychothérapie brève stratégique. Auteure et coauteure de nombreuses publications scientifiques, parmi lesquelles l’ouvrage L’anorexie juvénile. Une thérapie efficace dans les troubles alimentaires (Nardone G.,Valteroni E., 2017) traduit et publié en langue anglaise.

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Hors série n°17 “Les troubles des conduites alimentaires“


Les troubles des conduites alimentaires
Comprendre et mieux soigner


Organisé par Bruno Dubos, psychiatre, spécialiste du traitement des troubles des conduites alimentaires, avec la complicité de Julien Betbèze, rédacteur en chef de la revue Hypnose & thérapies brèves, ce hors-série de 212 pages réunit les interventions de onze thérapeutes qui décrivent leur manière de travailler. Chaque article s’appuie sur une expérience clinique et vise à transmettre des pistes pour aider les patients à se libérer des histoires dominantes dans lesquelles ils sont enfermés.

Sophie Cohen nous donne un bon exemple de stratégie pour aborder une crise de boulimie. Elle décrit une séance de « transe debout » dans laquelle elle va réintégrer les modifications de perception ayant émergé dans le dialogue thérapeutique.

Eric Bardot nous présente la situation d’une jeune femme consultant pour une surcharge pondérale. La description de l’entretien, très détaillée, nous fait comprendre l’apport novateur de la TLMR (Thérapie du Lien et des Mondes Relationnels) à l’utilisation de l’hypnose en thérapie.

Gérard Ostermann pose avec acuité le lien entre anorexie et addiction, et souligne l’intérêt de la thérapie narrative pour rencontrer l’autre.

Elisa Valteroni, collaboratrice de Giorgio Nardone, nous explique clairement comment utiliser un diagnostic opératoire avant de débloquer les processus perception-réaction dysfonctionnels. Elle insiste sur l’importance de la phase de consolidation et aborde la question du suivi.

Dominique Bligny met l’accent sur le sevrage du self-control et souligne les lacunes des recommandations de l’HAS pour cette prise en charge très spécifique. Elle nous donne des conseils pratiques très utiles en thérapie.

Cyprien Boulch nous rappelle l’intérêt, dans l’anorexie mentale, d’associer la prise en charge nutritionniste et psychiatrique avec la kinésithérapie.

Stéphanie Delacour aborde le thème de la sexualité avec deux patientes présentant une obésité. Elle souligne l’importance du mouvement dans la relation et du retour des émotions, avant de se focaliser sur la perte de poids.

Dominique Cassuto relie l’alimentation intuitive et l’hypnose dans la prise en charge de la surcharge pondérale.

Anne-Cécile Odeau nous donne un exemple de prise en charge familiale en thérapie systémique et l’intérêt d’une intervention précoce avant la chronicisation des symptômes.

Julien Betbèze présente l’évolution de l’anorexie hystérique vers l’anorexie addictive, à partir du processus d’autonomie relationnelle, en lien avec la représentation de la féminité de Freud à nos jours.
Il développe le type de questions à poser en début de thérapie pour faire émerger l’autonomie, dans une relation perçue comme maltraitante.

Bruno Dubos souligne pour les thérapeutes, l’importance de travailler les ressentis sensoriels dans un lieu sécure. Il dévoile l’importance des intentions relationnelles dans le processus d’autonomisation et décrit la mise en place d’un espace de sécurité partagée pour remettre le corps en mouvement.

Crédit Photo Jean-Baptiste Valiente Moro



Rédigé le Mercredi 22 Mars 2023 modifié le Mercredi 22 Mars 2023
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Laurent Gross
Vice-Président de France EMDR-IMO ® Président du Collège d'Hypnose et Thérapies Intégratives de... En savoir plus sur cet auteur





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