Les conflits armés sont le théâtre de la cruauté ; s’y exacerbent à la fois violences sexuelles et actes de torture. Pour fréquente qu’elle soit, cette association ne laisse pas d’interroger sur les liens entre les violences sexuelles et les actes de torture perpétrés en temps de guerre. Les agressions d’ordre sexuel répondent- elles à des stratégies politiques planifiées ? Quelles formes et quelles significations particulières revêtent ces violences ? Constituent-elles toujours des actes de torture ? Pour les victimes, les effets destructeurs de la torture stricto sensu et ceux des violences sexuelles sont-ils comparables ? Avant de dresser un état des lieux des violences sexuelles en contexte guerrier et d’en repérer les confluences avec la torture, il est utile d’évoquer les valeurs que véhicule la sexualité et les interdits qui la gouvernent dans certaines cultures.
La sexualité, valeurs et tabous
La sexualité ne se réduit pas à la seule satisfaction physiologique des pulsions sexuelles. En effet, elle cristallise de nombreuses valeurs et de multiples tabous, tant personnels que sociaux, et se teinte de significations spécifiques en fonction de l’usage social qui en est fait : pacification, réconciliation, régulation sociale, punition, échange, transaction, provocation, domination, humiliation, contrôle, etc.
Au niveau individuel, la majorité des individus répugne à envisager la sexualité hors d’un contexte précis. Par exemple, selon les cultures et les individus, les rapports pratiqués en dehors d’une relation amoureuse ou maritale, non consentis par l’une des parties ou avec un partenaire du même sexe provoquent détresse et humiliation.
Au niveau sociétal, la capacité sexuelle et reproductive confère aux femmes un rôle prépondérant dans la construction et la préservation de l’identité clanique, ethnique et culturelle d’une population. Par leur mariage, les groupes s’allient et ces alliances sont renforcées par la progéniture qui naît des unions. Aussi n’est-il pas étonnant que la sexualité fasse l’objet d’un contrat social et que toutes les sociétés en régulent, codifient, fixent, voire légifèrent l’accès. Ainsi, par exemple, dans la plupart des cultures traditionnelles, les relations sexuelles ne sont permises qu’au sein d’une union consentie par les familles et légitimée par les liens du mariage. Quant aux noces, elles ne sont le plus souvent concevables qu’avec un individu d’une ethnie, d’une tribu, d’une caste ou d’une religion déterminées. Envisager des relations intimes ou des épousailles dans tout autre cadre est prohibé. Les agressions sexuelles contreviennent à toutes les règles présidant aux conditions sociales de la sexualité. Elles exposent généralement les victimes à la stigmatisation, voire à la discrimination et compromettent considérablement leur bien-être social. Dans de nombreuses sociétés, les croyances et les préjugés les désignent comme responsables des sévices qu’elles ont subis et justifient leur disgrâce communautaire. En effet, les viols et autres actes sexuels forcés sont assimilés à l’adultère ; ils sont attribués à un sortilège maléfique châtiant un comportement inconvenant – par exemple, à l’égard d’un membre de la famille – ou à la punition divine de péchés qu’auraient commis les infortunées ou bien encore, sont considérés comme la conséquence méritée d’une pulsion qu’elles auraient provoquée par leur tenue vestimentaire ou leur attitude.
Si les violences sexuelles à l’égard des filles et des femmes ont des effets délétères sur leur bien-être individuel et social, il en est de même pour leurs pairs masculins. La virilité distingue non seulement les hommes des femmes, mais elle classe également les individus masculins selon un axe vertical au sommet duquel se hissent les hommes « dignes de ce nom » et au bas duquel sont relégués les « sous-hommes ». Dans les contextes de guerre, les hommes doivent être valeureux, ce qui concourt au renforcement des critères et des valeurs propres à l’identité masculine. Les individus doivent être capables d’affirmer leur virilité et de passer pour des durs sous peine d’être considérés comme des « tapettes », des « femmelettes » ou des « chochottes » et de perdre leur honneur. Les agressions sexuelles commises à l’égard des hommes constituent un moyen de conquérir le pouvoir ainsi qu’un instrument de contrôle et d’humiliation. Elles servent aux belligérants à affirmer leur force et à marquer leur dominance ; elles visent à déshonorer les vaincus, à montrer qu’ils sont incapables de défendre leur honneur et de prouver qu’ils sont de vrais hommes. Les agressions sexuelles corrompent l’identité sexuée des hommes et leur dérobent leur virilité. Elles produisent une mutation radicale dans la manière dont ils se perçoivent et induisent une modification des rapports sociaux au sein de la communauté. En effet, dans la plupart des sociétés, les hommes violés sont déconsidérés ; ils risquent d’être affligés d’une réputation d’homosexuel et, en conséquence, d’être rejetés par leur épouse et d’être mis au ban de leur communauté. Au vu de l’importance que revêt la sexualité pour les individus et pour les communautés, il n’est pas étonnant que les violences d’ordre sexuel se rencontrent dans les conflits armés et que les tortures s’accompagnent fréquemment de sévices sexuels.
La sexualité, valeurs et tabous
La sexualité ne se réduit pas à la seule satisfaction physiologique des pulsions sexuelles. En effet, elle cristallise de nombreuses valeurs et de multiples tabous, tant personnels que sociaux, et se teinte de significations spécifiques en fonction de l’usage social qui en est fait : pacification, réconciliation, régulation sociale, punition, échange, transaction, provocation, domination, humiliation, contrôle, etc.
Au niveau individuel, la majorité des individus répugne à envisager la sexualité hors d’un contexte précis. Par exemple, selon les cultures et les individus, les rapports pratiqués en dehors d’une relation amoureuse ou maritale, non consentis par l’une des parties ou avec un partenaire du même sexe provoquent détresse et humiliation.
Au niveau sociétal, la capacité sexuelle et reproductive confère aux femmes un rôle prépondérant dans la construction et la préservation de l’identité clanique, ethnique et culturelle d’une population. Par leur mariage, les groupes s’allient et ces alliances sont renforcées par la progéniture qui naît des unions. Aussi n’est-il pas étonnant que la sexualité fasse l’objet d’un contrat social et que toutes les sociétés en régulent, codifient, fixent, voire légifèrent l’accès. Ainsi, par exemple, dans la plupart des cultures traditionnelles, les relations sexuelles ne sont permises qu’au sein d’une union consentie par les familles et légitimée par les liens du mariage. Quant aux noces, elles ne sont le plus souvent concevables qu’avec un individu d’une ethnie, d’une tribu, d’une caste ou d’une religion déterminées. Envisager des relations intimes ou des épousailles dans tout autre cadre est prohibé. Les agressions sexuelles contreviennent à toutes les règles présidant aux conditions sociales de la sexualité. Elles exposent généralement les victimes à la stigmatisation, voire à la discrimination et compromettent considérablement leur bien-être social. Dans de nombreuses sociétés, les croyances et les préjugés les désignent comme responsables des sévices qu’elles ont subis et justifient leur disgrâce communautaire. En effet, les viols et autres actes sexuels forcés sont assimilés à l’adultère ; ils sont attribués à un sortilège maléfique châtiant un comportement inconvenant – par exemple, à l’égard d’un membre de la famille – ou à la punition divine de péchés qu’auraient commis les infortunées ou bien encore, sont considérés comme la conséquence méritée d’une pulsion qu’elles auraient provoquée par leur tenue vestimentaire ou leur attitude.
Si les violences sexuelles à l’égard des filles et des femmes ont des effets délétères sur leur bien-être individuel et social, il en est de même pour leurs pairs masculins. La virilité distingue non seulement les hommes des femmes, mais elle classe également les individus masculins selon un axe vertical au sommet duquel se hissent les hommes « dignes de ce nom » et au bas duquel sont relégués les « sous-hommes ». Dans les contextes de guerre, les hommes doivent être valeureux, ce qui concourt au renforcement des critères et des valeurs propres à l’identité masculine. Les individus doivent être capables d’affirmer leur virilité et de passer pour des durs sous peine d’être considérés comme des « tapettes », des « femmelettes » ou des « chochottes » et de perdre leur honneur. Les agressions sexuelles commises à l’égard des hommes constituent un moyen de conquérir le pouvoir ainsi qu’un instrument de contrôle et d’humiliation. Elles servent aux belligérants à affirmer leur force et à marquer leur dominance ; elles visent à déshonorer les vaincus, à montrer qu’ils sont incapables de défendre leur honneur et de prouver qu’ils sont de vrais hommes. Les agressions sexuelles corrompent l’identité sexuée des hommes et leur dérobent leur virilité. Elles produisent une mutation radicale dans la manière dont ils se perçoivent et induisent une modification des rapports sociaux au sein de la communauté. En effet, dans la plupart des sociétés, les hommes violés sont déconsidérés ; ils risquent d’être affligés d’une réputation d’homosexuel et, en conséquence, d’être rejetés par leur épouse et d’être mis au ban de leur communauté. Au vu de l’importance que revêt la sexualité pour les individus et pour les communautés, il n’est pas étonnant que les violences d’ordre sexuel se rencontrent dans les conflits armés et que les tortures s’accompagnent fréquemment de sévices sexuels.