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Violences sexuelles dans les conflits armés, confluences avec la torture. Par Evelyne JOSSE



Les violences sexuelles comme acte de torture, de génocide ou comme crime contre l’humanité

En droit international, le viol et les violences sexuelles peuvent être des éléments constitutifs d’autres crimes. Le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie a jugé, dans les affaires Delalic, Kunarac et Furundzija, que le viol peut constituer une torture lorsque l’acte répond aux critères spécifiques constitutifs de la torture, à savoir lorsqu’il est commis par un agent de la fonction publique ou à son instigation ou avec son consentement, avec la volonté de punir, contraindre, discriminer ou intimider ou dans le but d’obtenir des informations ou des aveux. Le Tribunal pénal international pour le Rwanda a estimé, dans les affaires Akayesu et Musema, que le viol et les violences sexuelles – mutilations sexuelles, stérilisation, contrôle forcé des naissances, fécondation délibérée – peuvent être constitutifs de génocide s’ils ont été perpétrés dans l’intention de détruire, en tout ou partie, un groupe spécifique, ciblé en tant que tel. Dans l’affaire Akayesu, le même tribunal a qualifié de crime contre l’humanité les agressions sexuelles commises « dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique, sur une population civile, pour des motifs discriminatoires, en raison notamment de l’appartenance nationale, ethnique, politique, raciale ou religieuse de la victime ».

Torture et violences sexuelles, des effets similaires sur les victimes

Tout comme la torture, les violences sexuelles attaquent l’intégrité physique, psychologique et sociale des victimes ainsi que leur dignité et ont des effets durables de destruction identitaire.
Au niveau individuel d’abord, torture et violences sexuelles génèrent un traumatisme psychique et son cortège de symptômes : syndrome post-traumatique, troubles anxieux, dépressifs, comportementaux, etc. Elles provoquent une altération des capacités cognitives – troubles de la mémoire et de la concentration, incapacité à penser –, émotionnelles – baisse de l’estime de soi, autodévalorisation, honte, culpabilité – et comportementales – auto- et hétéro-agressivité –, conduites addictives. Elles altèrent les capacités à désirer et à se projeter dans l’avenir. Elles sont également à l’origine d’un changement de personnalité qui se manifeste par une modification du caractère, de la relation à soi et à autrui.

Au niveau familial ensuite, torture et violences sexuelles engendrent fréquemment des dysfonctionnements domestiques. En effet, le retrait affectif des victimes ou, a contrario, une attitude de dépendance vis-à-vis des proches, leur irritabilité et leur agressivité, leur désintérêt des activités professionnelles et des loisirs, une démotivation généralisée et leur apathie perturbent le bon déroulement de la vie de famille. Par ailleurs, nombre d’entre elles sont écartées de leur foyer, qu’elles soient amenées à s’exiler loin des leurs dans le cas de tortures ou qu’elles soient chassées et mises au ban de la société dans le cas de violences sexuelles.
Au niveau social enfin, torture et violences sexuelles entraînent une baisse globale du fonctionnement psychosocial. Les sentiments de valeur personnelle et de dignité humaine sont bafoués par les dévalorisations et les humiliations, la soumission à l’agresseur, la transgression forcée de valeurs et de tabous personnels – par exemple, devoir torturer un compagnon ou violer un membre de la famille pour ne pas être soi-même maltraité ou tué – ainsi que par la transgression forcée de valeurs et de tabous culturels, comme être contraint à avoir des rapports sexuels considérés comme impies9. Le rabaissement des individus en deçà du rang de l’espèce humaine et les diverses transgressions provoquent une fracture avec l’univers de référence et une désaffiliation des groupes d’appartenance familiaux, communautaires, sociaux, politiques, religieux et ethniques. Les victimes sont ainsi dépouillées du sens qu’elles ont d’elles-mêmes, dans leur culture et dans le groupe humain. Du fait que les sévices sont intentionnels et perpétrés par des êtres humains, ces violences sapent les fondements même des rapports interpersonnels que sont la confiance et le respect.

Torture et violences sexuelles, des liens étroits

Torture et agressions sexuelles entretiennent des liens étroits. Ces deux formes de violence comptent parmi les plus graves qui soient et les plus rarement dénoncées. Leurs conséquences sur la sante physique, l’équilibre mental et le bien-être social des victimes sont particulièrement sévères, délétères et pérennes.

Le terme « torture » englobe une diversité de procédés dont les abus sexuels et le viol. Les femmes et les fillettes victimes de torture sont violées presque systématiquement par leurs bourreaux. Leurs pairs masculins sont souvent contraints à se livrer à des relations sexuelles avec leurs compagnons d’infortune et leurs organes sexuels sont fréquemment la cible des brutalités qui leur sont infligées. Inversement, dans les contextes de conflits armés, les violences sexuelles sont souvent assorties de tortures : coups, chocs électriques, mutilations, suffocation, suspension dans des positions douloureuses, isolement* prolongé, travaux pénibles, etc.

Tout comme la torture, les agressions sexuelles sont infligées intentionnellement par un autrui malveillant. Elles causent des douleurs physiques et/ou des souffrances mentales aiguës. Elles peuvent être elles aussi perpétrées aux fins de discriminer, de punir, de contraindre, d’intimider ou d’obtenir des informations et être commises par un agent de la fonction publique, à son instigation ou avec son consentement. Lorsque l’acte répond à ces critères spécifiques, détaillés plus haut, le droit international considère le viol comme une forme de torture.

Conclusion

Tant pour les violences sexuelles que pour les tortures perpétrées en contexte guerrier, le constat d’une pratique massive et proliférante peut être dressé. Qu’il s’agisse des rapports entre les unes et les autres en termes de qualification juridique, de méthode de domination hégémonique ou de séquelles pour les victimes, des convergences se dégagent. Le viol et les abus sexuels font partie de l’arsenal habituel des tortionnaires. Machines et méthodes de guerre, les agressions sexuelles et les tortures sont souvent associées à la mise en œuvre de dispositifs de domination ethnique et politique. Armes d’humiliation, d’assujettissement et de terreur, elles visent à annihiler l’identité des individus et à détruire les liens communautaires. Elles lèguent aux survivants des conflits armés un triple traumatisme, personnel, familial et social, souvent indélébile. Si diversement dévastatrices que soient les formes qu’elles empruntent, violences sexuelles et tortures ont bien en commun d’obscurcir les ombres monstrueuses des théâtres de la guerre.


[1] EMDR : méthode de thérapie des traumatismes par désensibilisation et retraitement par les mouvements oculaires.
[2] On entend par « contrat social » le pacte établi par la communauté des êtres humains dans le but d'établir une société organisée et hiérarchisée. Il est un ensemble de conventions et de lois garantissant la perpétuation du corps social.
[3] De nombreux Hutus, qu’ils aient ou non participé au génocide des Tutsis, ont fui le Rwanda en 1994 par peur des représailles et se sont réfugiés au Congo. Parmi eux, les Interhamwés (miliciens rwandais responsables du génocide, dont le nom en Kinyarwanda signifie « ceux qui combattent ensemble ») ont grandement contribué à déstabiliser la région. Aujourd’hui encore, ils sont tenus pour responsables de nombreux pillages et viols.
[4] Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), Chambre de première instance, affaire Le procureur c/ Zejnil Delalic et consorts (jugement Celebici), décision n° IT-96-21-A.
[5] Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), Chambre de première instance, affaire Le procureur c. Kunarac et al., (dossier n° IT-96-23/2), jugement du 22 février 2001.
[6] Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), Chambre de première instance, affaire Le procureur c/ Furunzija, décision n° IT-95-17/1.
[7] Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), Chambre de première instance, affaire Le procureur c/ Jean-Paul Akayesu, n° ICTR-96-4-T, jugement du 2 septembre 1998.
[8] Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), Chambre de première instance, affaire Le procureur c/ Alfred Musema, n° ICTR-96-13-A, jugement du 27 février 2000.
[9] Par exemple, dans la culture musulmane, la sodomie, considérée comme telle, constitue un outrage aux valeurs religieuses.

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Rédigé le Mercredi 30 Janvier 2013 modifié le Mercredi 30 Janvier 2013
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