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Violence sourde et fantômes. Revue Hypnose et Thérapies Brèves 63.

Invisible, silencieuse, la violence sourde au sein de la famille a du mal à se faire entendre. Si l’enfant en porte le poids en souffrances, elle traîne avec elle des fantômes appartenant à l’histoire des parents. Le thérapeute joue alors sur le registre des interactions.



Violence sourde et fantômes. Revue Hypnose et Thérapies Brèves 63.
INTRODUCTION

L’objectif principal de cet article est la mise en évidence et la prise en charge de la Violence Sourde (VS), autre forme de violence que celle habituellement repérée et traitée que l’on nommera Violence Manifeste (VM). Nous rencontrons régulièrement la violence sourde dans notre clinique sans la repérer. La violence sourde vient en contrepoint de ce que l’on se représente de la violence en général. La littérature évoque des violences physiques, sexuelles et/ou psychologiques. La violence psychologique est la plupart du temps minimisée par les patients eux-mêmes voire par les professionnels : « Ce n’est QUE verbal. » L’ensemble de ces manifestations font partie des VM.

Comme pour toute violence, la psychothérapie des violences sourdes nécessite des approches intégratives psychocorporelles utilisant les théories systémiques, les théories de la dissociation, celles de l’attachement, des techniques comme l’hypnose, l’EMDR et l’HTSMA (1). Nous définirons la Violence Sourde et montrerons la porte d’entrée utilisée pour venir dans nos cabinets, la justification d’un travail familial, comment et par qui la VS s’exprime. Un des propos de cet article est de montrer que la violence sourde est intra-familiale et implique le transgénérationnel (2).

VIOLENCE SOURDE ET FANTÔMES

Dans les situations de violence sourde, nous sommes sur le registre de « ce qui FAIT violence ». Dans la violence manifeste nous sommes sur « ce qui EST violent ». A la différence de la VS, la VM est une attaque pour détruire l’autre (non consciemment) repérable immédiatement.

Le repérage de la VS se fait au niveau émotionnel (soit bloqué, soit explosif). En général, le côté explosif est exprimé par l’enfant amené en consultation, le côté bloqué par le(s) parent(s).

La violence sourde est une violence non visible mais perceptible. Elle n’est pas exprimée verbalement dans les récits familiaux, on ne l’observe pas dans les interactions directes. Elle est difficile à objectiver. On assiste à ses effets dans des perceptions qui semblent incongrues, démesurées, n’allant pas de soi. L’un ou l’autre membre de la famille est désigné comme coupable, parfois à tour de rôle. La VS, comme toute violence, nous renvoie à la notion de traumatismes et donc de dissociations.

La VS est caractérisée par la présence de fantômes venant du transgénérationnel. Dans le présent, elle est exprimée par un enfant qui la met en scène, qui en est victime mais qui est accusé d’être celui qui pose des problèmes. L’enfant, par son comportement, interroge l’histoire, laquelle justement n’est pas accessible et, d’une manière ou d’une autre, a fait violence. Cet enfant endosse le rôle de patient désigné. La violence pensée comme un processus nous permet d’envisager ce qui se fait sans pouvoir se dire. Nous avons à repérer cet invisible qui passe par les ressentis (affectifs, émotionnels, corporels : chez les patients ET chez le thérapeute) afin de le rendre visible. A cette condition, dans un second temps, il pourra être modifié au niveau des traces corporelles, émotionnelles et du cognitif. Quand ces niveaux sont modifiés et (re)liés, alors on observe des changements comportementaux et interactionnels durables, ce qui s’apparente à un changement de type 2 (3).

Les questions de honte, de culpabilité (4) et d’inhibition de la violence, pouvant exister au prix d’une dissociation chez chaque parent, sont à explorer de façon systématique, une fois une confiance et une alliance thérapeutique installées à vérifier (attachements insécures) (5). La VS génère des décalages par rapport aux besoins ou aux attentes des enfants, alors que les parents paraissent adaptés, intéressés et motivés par la thérapie. Elle a comme particularité de dissoudre les demandes au fil des séances. Les parents répètent leurs plaintes (signe de VS) par rapport à l’enfant, sans conflictualité directe observable. En général, chez les petits enfants, nous observons de l’agitation, un comportement social dérangeant, diagnostiqué « TOP », « TDAH » (6), qui trouvent souvent des réponses sous forme de psychotropes. Ou bien des réponses de « thérapies » individuelles de l’enfant qui évitent aux parents de questionner leur histoire. Pour les plus grands enfants, les symptômes peuvent être très variés, cependant ils touchent souvent l’attention et la concentration et se traduisent par des « TDAH ». Enfin, chez les adolescents nous trouvons des automutilations, conduites à risque, conduites addictives, TS, hallucinations auditives...

Quel que soit l’âge, on observe une hypervigilance. Ces enfants, dont la préoccupation est focalisée sur les problèmes de violences familiales, ont une concentration et des états émotionnels instables les conduisant à des comportements imprévisibles et insupportables socialement. A l’inverse, on observe des enfants anormalement stables, prévisibles, trop supportables, parfaits scolairement, voire « précoces », HP, systématiquement oubliés dans les repérages cliniques de souffrances. Souvent ce qu’exprime l’enfant n’est pas compris malgré des tentatives d’écoute de certains adultes. Sans formation adéquate, l’intervention des professionnels risque d’isoler l’enfant par un diagnostic individuel, maintenant la problématique sous-jacente familiale. Modifier les dysfonctionnements nécessite de les repérer, les séparer, les rendre conscients et les élaborer en famille. Les fonctionnements de base sont si ancrés qu’ils semblent « normaux » aux familles. Ils sont toujours cohérents avec leur histoire. Entrer dans leur monde permet au d’isolethérapeute de saisir cette cohérence dans le transgénérationnel. Ce que nous observons est un ensemble d’interactions défensives de survie mais qui ne sont plus adaptées au contexte actuel. Au pire, les interactions fabriquent de nouvelles violences et entretiennent les anciennes non reconnues comme telles. Si elles visaient une certaine homéostasie familiale supportée depuis des générations, le patient désigné vient perturber et dénoncer cet équilibre qui n’était que précaire.

TRAUMATISMES, DISSOCIATIONS (7), CONFUSIONS

Durant certaines séances, le psychothérapeute peut se sentir confus, percevoir des ressentis internes de violence, être continuellement soumis à des plaintes, des détails du quotidien toujours renouvelés qui l’empêchent d’approfondir. L’urgence en séance reflète le sentiment d’urgence vécu au quotidien par les parents. La dispersion des sujets et la profusion de problèmes peuvent conduire le thérapeute à se sentir impuissant. Une question de sa part apporte une réponse sans rapport avec le sujet. Le psy peut avoir l’impression de perdre ses capacités et se décourager. Il va devoir utiliser l’ensemble de ses ressentis, différencier ce qui lui appartient en propre et ce qui appartient à la famille, et enfin les lier au présent vécu en famille et à leur histoire. Les ressentis et impressions du thérapeute sont en lieu et place du discours sur l’histoire qui se répète. L’enfant ne peut pas faire autre chose que des passages à l’acte. Le thérapeute devra lui venir en aide en traduisant cet ensemble d’éléments qui sont des indicateurs précieux. La dissociation force l’enfant à endosser un vieux costume qui n’est pas le sien. Elle participe à la confusion de l’espace, du temps et des personnes présentes.

FAMILLES JACHÈRES : COMMENT ACCÉDER À LA TRISTESSE PARTAGÉE

Durant cette séance, le thérapeute propose un jeu de rôles. Angelo demande à son père de jouer le rôle de mère. Le psy ne repère pas le désarroi de la mère (visible très peu de temps) blessée par le choix de son fils. Le thérapeute insiste sans pouvoir s’ajuster (s’accorder). L’autre thérapeute reste muet et impuissant. Un désaccordage s’observe entre les thérapeutes.

Plusieurs signes de la violence sourde apparaissent : l’incapacité à s’ajuster aux besoins de l’enfant en particulier et des parents. Un autre signe est l’isolement de la mère, sa solitude dans son vécu de rejet quand son fils choisit sont père pour jouer son rôle à elle. Ni le père, ni les thérapeutes, ni la mère elle-même ne le remarquent : confusion, dissociation, contagion et répétition contenues dans cette scène qui en elle-même devient une base prototypique qui peut être travaillée à tous les niveaux (émotionnel, cognitif, corporel, relationnel) et avec chaque personne de la famille. Cet isolement et solitude de chacun est ce qu’ils ont en commun. C’est la base du processus sur lequel les psys peuvent s’appuyer puisqu’eux-mêmes sont atteints et mettent en scène cette problématique. Imposer au père une action envers ses enfants augmente et entretient la dissociation d’avec les émotions présentes pour chacun. Les thérapeutes rejouent la même situation entre eux. S’il est intéressant de « se faire prendre » dans le jeu interactionnel de la famille, c’est parce que ces résonances émotionnelles, une fois ressenties, identifiées et nommées, vont pouvoir être reliées à la situation à la maison et aux événements transgénérationnels. La porte d’entrée vers les fantômes du passé se situe dans les interactions avec la famille et dans le vécu émotionnel et sensoriel des thérapeutes.

Dans une autre séance, ce qui aurait pu être un problème de répétition d’isolement, de solitude, de vide relationnel, d’émotions, de souffrances inhibées et d’angoisses infiltrées devient un levier thérapeutique :


Notes 1. Hypnose, thérapie stratégique et mouvements alternatifs : cette pratique intégrative a été mise au point par le pédopsychiatre Eric Bardot.

2. Le concept de « violence sourde » est issu d’un travail collectif impliquant cinq thérapeutes familiaux : deux psychologues libérales (Véronique Cohier-Rahban et Giulia d’Addario) et trois psychiatres et pédopsychiatres hospitaliers (Béatrice Bonnier-Prin, Bogdan Pavlovici et Laure Zeltner). Il a donné lieu à deux demijournées de colloque, l’un en 2018 et l’autre en 2019.

3. Le changement de type 2 apparaît comme un changement de la loi de composition interne qui gouverne le système, celui-ci serait alors dépouillé de toute violence sourde. Sous la direction de Michel Maestre, Entre résilience et résonance. A l’écoute des émotions, Cyrulnik B., Elkaïm M., Fabert, 2017.

4. Ciccone A., Ferrant A., Honte, culpabilité et traumatisme, Paris, Dunod, 2009. Cohier-Rahban V., sous la direction de Missonnier S., in Honte et culpabilité dans la clinique du handicap, pp. 183-199, Honte et culpabilité du côté des soignants et professionnels encadrants, Erès, 2012. Tisseron S., La honte, psychanalyse d’un lien social, Paris, Dunod, 1992.

5. Bowlby J., A secure base. Clinical implications of attachment theory, London, Routledge, 1988.

6. TOP : Trouble Oppositionnel avec Provocation ; TDAH : Trouble de déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité.

7. Cf. Le soi hanté ainsi que Psychothérapie de la dissociation et du trauma.

8. Stern D.N., Le moment présent en psychothérapie : Un monde dans un grain de sable, Odile Jacob, 2003. 9. Cf. Stern D.N., Op. cit.

10. Dans la théorie systémique, on distingue le changement de type 1 qui prend place à l’intérieur d’un système donné, lequel reste inchangé, du changement de type 2 qui modifie le système lui-même.

11. Techniques psychocorporelles adaptées aux prises en charge des traumatismes : hypnose, EMDR, HTSMA, ICV...



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VÉRONIQUE COHIER-RAHBAN

Psychologue et psychothérapeute. Supervisions individuelles et institutionnelles. Elle utilise la systémie, la psychanalyse, l’HTSMA, l’hypnose. Spécialisée dans les psychothérapies des traumatisations complexes. Plus d’une vingtaine de publications dans les revues « Thérapie familiale », « Dialogue », « Sexualités Humaines » et participation à des ouvrages collectifs.


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N°63 : Novembre, Décembre 2021, Janvier 2022
Illustrations © Eishin Yoza

- Edito : Humaniser le lien - Julien Betbèze, rédacteur en chef

- Wilfrid Martineau nous apprend à surfer sur les métaphores, grâce à des exemples concrets de questionnement s’inscrivant dans l’imaginaire partagé. En s’attachant aux métaphores des patients, le thérapeute renforce le lien et active le changement.

- Marie Caiazzo nous indique comment les images d’une personne courageuse et forte peuvent remettre le corps en mouvement ; elle illustre cela avec le cas d’Annabelle, kiné victime d’inceste qui ne parvenait plus à toucher ses patients.

- Bertrand Jacques met en évidence les effets délétères des normes de performance dans la vie affective et sexuelle. A travers plusieurs exemples, il nous montre comment se déprendre du pouvoir des injonctions normatives intériorisées. Reconnecter les sujets à des relations sécures va ouvrir la voie à une expérience émotionnelle corrective, dans laquelle le sujet va se réapproprier sa subjectivité qui passe par l’acceptation de la peur et l’accueil des tremblements.

- Gérard Ostermann présente dans son édito deux articles sur l’utilisation de l’hypnose, en neurochirurgie éveillée (Séverine Gras) et sur la fibromyalgie (Laurent Schaller).

- Le dossier thématique «Humaniser le lien» reprend un échange de Julien Betbèze avec Eric Bardot autour de la dépression.
L’article souligne l’importance de la constitution de la relation pour accéder à la subjectivité. Cela passe par une attention à l’accordage et au partage affectif afin de diminuer l’effet des angoisses de mort liées au monde abandonnique.

- Le texte de Véronique Cohier-Rahban s’intéresse aux fantômes transgénérationnels chez les enfants atteints de troubles oppositionnels avec provocation (TOP) et de troubles de déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH). L’auteure décrit comment, à travers l’histoire d’une famille, son intervention thérapeutique a permis l’accès à une tristesse partagée, condition de l’installation d’un lien rendant à chacun un espace d’expression.

- Adrian Chaboche : Aussi simple qu’un verre d’eau. Voir le patient comme une œuvre d’art favorise notre empathie et fait émerger le geste thérapeutique qui devient simple, présent.

- L’importance du lien est illustrée comme toujours avec humour par Stefano Colombo et Muhuc.

- Gérard Fitoussi interroge Jean-Jacques Wittezaele qui a introduit l’approche de Palo Alto dans l’Europe francophone. Il décrit son parcours autour de l’importance de la relation et son intérêt pour la culture chinoise qui donne une place prépondérante à la relation dans la construction du sens.



Rédigé le Lundi 31 Janvier 2022 modifié le Lundi 31 Janvier 2022
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Sophie Tournouër, Psychologue clinicienne, Hypnothérapeute et Thérapeute Familiale. praticienne... En savoir plus sur cet auteur





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