
On a longtemps affirmé, ou plutôt, il m’a semblé souvent entendre, que dans le modèle de Thérapie stratégique, issu du MRI (Mental Research Institute) de Palo Alto, il fallait trouver le paradoxe préalable, ainsi que la Tentative de solution inefficace (qui se reproduit sans cesse face au même problème), puis de déjà la stopper dans un premier temps, et enfin de « confronter », d’« exposer », ou encore de « provoquer » le patient, en lui proposant parfois (mais pas systématiquement) une solution (ou tâche) paradoxale...
Le tout avec toujours beaucoup de bienveillance, comme aime à le souligner notre ami Yves Doutrelugne, grand expert de cette pratique. Nous avons tous en tête le jeune Erickson et son fameux « Veau » (que vous trouverez sans effort sur Internet, pour ceux qui souhaiteraient se rafraîchir la mémoire...), ainsi que bien d’autres analogies ou métaphores, que chaque formateur aime utiliser afin d’illustrer cette démarche. Démarche qui, si elle est effectivement implacable, n’en est cependant pas si simple à mettre en oeuvre, et nous en avons tous fait l’expérience, car s’il suffisait simplement de suivre et d’appliquer une « méthode » ou encore un « process », nous pourrions nous contenter de dire alors à ce patient, souffrant de troubles anxieux depuis des années : « Ecoutez-moi bien, mon cher Monsieur... il convient de stopper vos tentatives d’évitement, quelles qu’elles soient, et puis ensuite simplement de vous confronter à vos peurs... Et tout ira bien, le tour sera joué... Voilà tout... » CQFD. C’est facile...
On vient d’inventer « le fil à couper le beurre », comme le dirait mieux que moi Dominique Megglé. Dans l’exemple clinique dont je vais vous parler, la tâche thérapeutique des « 30 minutes du pire », bien connue, très largement documentée, et enseignée dans tous les bons instituts, repose surtout et avant tout sur un « Dialogue stratégique » qui va conditionner la disponibilité du patient à exécuter cette tâche... Comme vous le constaterez, cette « conversation en entonnoir » va bien au-delà d’une simple discussion, il s’agit d’une communication hypnotique sans transe formelle. Cette conversation provoque une activation cognitive qui induit une « Expérience émotionnelle correctrice ». Et c’est bien cette expérience « incarnée » (qui se passe avant tout dans le corps) qui va amener, ici, la patiente à accepter cette tâche thérapeutique comme étant la seule alternative possible à l’issue de l’entretien.
Comme nous l’a redit Giorgio Nardone, lors de sa venue à Nantes en septembre dernier : « Ne vous y trompez pas, cette conversation qui amène le patient à ressentir cette Expérience émotionnelle correctrice est une induction hypnotique. » Cet entretien, comme vous le constaterez, est ponctué de nombreuses pauses (« ... »), que vous pourrez également respecter en le lisant. Ces pauses, comme le disait Alain Vallée, sont parfois essentielles à la fluidité du discours et permettent bien souvent aux phrases de rentrer dans le corps... Tout en donnant au thérapeute le temps de réfléchir... La patiente s’appelle Corinne, elle a 66 ans, et je la rencontre pour la première fois.
- Thérapeute : « Qu’est-ce qui vous amène ?
- Corinne : Quand j’ai pris rendez-vous c’était pour une autre raison, mais maintenant je ne sais plus trop… Depuis quatre semaines, je suis rentrée de vacances et j’ai pris la décision de rompre d’avec mon compagnon. Il est plus âgé que moi de dix ans, ça fait sept ans qu’on est ensemble, et ça ne va plus depuis déjà trop longtemps… Et là j’ai pris la décision de me séparer, je lui ai dit qu’on devait faire une pause, mais je sais bien que c’est fini pour moi... Et je ne sais pas comment je vais m’en sortir.
- Th. : OK... Vous me dites que vous avez pris rendez-vous pour un problème, et que depuis, il y a eu quatre semaines… Et que depuis vous avez pris la décision de rompre… Et que depuis vous savez plus trop, ni surtout comment vous allez vous en sortir... C’est bien ça ?
- Corinne : Oui…
- Th. : Et dans la situation de maintenant, pour vous, le problème… celui qui une fois réglé vous rapporterait le plus… sans pour autant oublier les autres… Pour vous, là, maintenant… ça serait quoi ?…
- Corinne : Je crois que c’est ça, cette rupture… Et en même temps que c’est en lien avec mes problèmes d’avant.
- Th. : OK… Et ça vous ennuie si je vous demande “c’est quoi” vos problèmes d’avant ?
- Corinne : C’est ma peur de la mort, et aussi et surtout la peur d’être abandonnée.
- Th. : Et vous pouvez m’en dire un peu plus sur ce que c’est… chez vous… la peur de la mort, la peur de l’abandon... et peut-être d’autres peurs, que vous avez encore ?
- Corinne : Oh, oui. J’en ai plein d’autres vous savez… Je sais même pas si on aura assez de temps aujourd’hui pour que je vous parle de tout ça.
- Th. : Ah bon ? C’est autant que ça ? Vous savez moi j’ai appris à être très patient avec mon métier… Récemment j’ai soigné un patient qui était venu avec un carnet, dans lequel il avait répertorié 43 situations… Oui… 43 situations, toutes concrètes, toutes valides. Et vous savez… aujourd’hui il parvient de nouveau à sortir de chez lui progressivement… Et il recommence à faire face… petit à petit… sans forcément que ça marche à chaque fois… A tout un tas de situations auxquelles il n’imaginait pas, auparavant, être en mesure de se confronter de nouveau… Et ça semble déjà être beaucoup plus satisfaisant pour lui…
- Corinne : Oui, vous savez, ça fait depuis l’âge de 15 ans que je vis avec toutes ces peurs. La raison je la connais bien, et c’est pour ça que j’ai jamais consulté jusque-là. Mon père, ou plutôt celui que je croyais être mon père, ce n’était pas mon vrai père... Et je l’ai appris comme ça, là, à l’âge de 15 ans... Et alors vous savez, ça n’a pas été facile de vivre avec ça, je me suis ensuite mariée, j’ai eu des enfants, mais j’ai toujours eu plein de peurs qui se sont développées à partir de ce moment. Tout un tas de peurs que j’avais pas avant… Peur que mon mari me quitte, peur de mourir, peur de me retrouver seule... Celle-là je crois que c’est la pire… Peur pour mes enfants… Et alors plus tard, j’ai essayé de retrouver mon géniteur, et ça n’a pas bien fonctionné… Il m’a répondu, mais il m’a dit que je ne faisais partie de sa vie que “virtuellement”… Virtuellement… Vous vous rendez compte, alors que moi je suis bien réelle… Mes parents eux n’ont pas compris ma démarche, ils m’ont même trouvée idiote de faire ça… Et mon père d’adoption, celui que j’ai toujours appelé “papa”… lui… il m’en a même voulu…
- Th. : OK… Et vous me dites que d’avoir retrouvé votre géniteur et tout ça… Sur vos mécanismes de peur… ça n’a tout simplement pas fonctionné… C’est ça ?
- Corinne : Oui, c’est ça...
- Th. : Comme si parfois on cherchait dans le passé une solution au problème de maintenant. Et que ça ne marche pas ?
- Corinne : Oui, effectivement...
- Th. : Et vous avez raison… Ça ne marche pas… Et si vous me le permettez, je vous poserais même encore une autre question ?...
- Corinne : Oui, bien sûr. Allez-y...
- Th. : Et si… avoir retrouvé votre géniteur… et toutes les conséquences que ça a pu avoir sur vous, sur vos parents, etc... ça pouvait avoir eu un tout petit impact sur votre problème… sur vos peurs… Pour vous, cet impact… ça a été mieux ou ça a été pire ?…
- Corinne : Pire, bien sûr…
- Th. : Et pendant tout ce temps, pendant toutes ces années, quand toutes ces peurs revenaient, et je vous crois qu’il peut y en avoir eu beaucoup… Comment est-ce qu’elle faisait cette personne, pour en atténuer le signal ?
- Corinne : Ça va paraître idiot ce que je vais vous dire... mais je me suis toujours servi de la douleur…
- Th. : De la douleur ?
- Corinne : Oui… Un jour j’ai découvert que quand je me faisais mal… ça calmait ma peur… Un peu comme un “contre-feu”…
- Th. : Et je peux vous demander comment vous procédez ?
- Corinne : Oh, rien de bien compliqué… Je me cogne la tête… comme ça… en arrière… Pour que ça se voit pas trop… ça peut arriver quelquefois que je me fasse des marques, alors je le fais vers l‘arrière…
- Th. : OK… Alors ce que vous me dites… si je comprends bien, c’est que pendant toutes ces années, et pendant tout ce temps, le moyen que vous, vous avez mis stratégiquement en place, à chaque fois que vous faites… Ça vous va si on appelle ça des crises ?
- Corinne : Oui…
- Th. : Comme des “attaques de panique” peutêtre ?
- Corinne : Oui, c’est tout à fait ça.
- Th. : Alors, si je comprends bien, le moyen stratégique, chaque fois que vous faites ces crises, ces attaques de panique… Eh bien vous vous faites mal… Comme ça (avec la gestuelle), en vous cognant la tête en arrière ?
- Corinne : Oui, c‘est ça…
- Th. : Une fois ? Plusieurs fois ?
- Corinne : Très souvent plusieurs fois… Une bonne dizaine de fois au moins la plupart du temps…
- Th. : OK… Merci pour ces précisions… Et que ça… se cogner jusqu’à dix fois la tête en arrière… Eh bien ça casse la crise et qu’ensuite la plupart du temps vous reprenez le cours de votre journée ? Ou de votre nuit ?…
- Corinne : Oui, c’est ça… Sauf que ça n’a pas été tout le temps autant présent dans ma vie…
- Th. : OK… Et là avant de m’appeler, c’était comment ?
- Corinne : Vous savez, depuis que je suis avec Henry, c’est beaucoup moins, peut-être une fois par semaine, ou trois-quatre fois par mois…
- Th. : OK... Mais là vous avez peur que ça soit beaucoup plus…
- Corinne : Oh oui... Et ça… ça me terrorise…
- Th. : OK… Je comprends mieux maintenant en quoi c’est si important pour vous de venir me voir là… en ce moment… alors que vous avez pris la décision de rompre avec Henry… Et que ça vous fait craindre de nouveau de refaire encore plus de crises, et tout et tout…
- Corinne : Oui, c’est tout à fait ça… En plus j’ai déjà assez transmis ces angoisses à ma fille, et maintenant je m’occupe souvent des mes deux petits-fils, je ne voudrais pas leur montrer ce spectacle.
- Th. : Et vous avez bien raison évidemment… Et je ne sais pas pourquoi, mais tout ça… ça me fait penser, vous savez… à ces jeunes adolescentes qui mettent des sweat-shirts à manches longues en plein été, vous savez… Juste pour masquer leurs avant-bras… plein de traces comme ça (gestuelle de scarification...).
- Corinne : Oui... J’en ai entendu parler…
- Th. : Parfois c’est aussi juste comme ça (gestuelle de “claquage”), elles font des trucs avec des élastiques qu’elles se “claquent” tout le temps sur leurs poignets, ou même parfois elles vont jusqu’à se faire de plus grosses entailles avec des compas, ou des rasoirs... Elles ont 13- 14-15 ans… Et au moment où c’est vraiment pas facile d’avoir cet âge de nos jours, tout simplement… Alors elles vivent une période de leur vie où juste… elles ressentent de la peur, ou même un peu de tristesse… Alors elles ne comprennent pas… Et parfois leur entourage et les docteurs eux-mêmes ne comprennent pas… Alors elles se disent : “chuis nulle, je devrais pas ressentir ça”... Et elles trouvent un petit moyen, souvent comme ça, par hasard un jour, ou parce qu’une copine leur a montré, de diminuer cette peur ou cette tristesse quand elle arrive… Alors elles se mettent à le faire, à le faire… Au début ça les soulage, mais plus elles le font, et plus elles se disent que c’est nul de faire ça… Et ça... de votre point de vue… ça a quel effet sur la peur ou la tristesse ?…
- Corinne : Ça ne fait que les amplifier…
- Th. : Tout a fait… Et si je comprends bien… et vous me corrigez si je me trompe… vous... pour qui jusque-là c’était à peu près acceptable, avec trois-quatre crises de panique par mois, vous avez peur... Et à juste titre, que votre situation de maintenant, et vous savez de quoi vous parlez, elle convoque de nouveau toutes ces peurs : abandon, mort, séparation, etc. Et que vous n’allez pas arrêter de vous mutiler si on ne vous aide pas à faire autrement ?…
- Corinne : Je sais pas comment le dire plus juste…
- Th. : Et s’il y avait un moyen de faire différemment ?… De faire autrement ?… Qu’avec la douleur... La douleur comme un “contrefeu”… la douleur comme un évitement ?… Ça vous dirait d’essayer ?… Vous seriez prête ?… Prête à avancer, vous aussi… Doucement, progressivement, sans que ça soit efficace à chaque fois au début, et à obtenir quelque chose de déjà plus digne, de plus satisfaisant ?…
- Corinne : Oui, je veux bien... Je crois que je suis prête maintenant…
- Th. : OK… Et ça vous ennuie si on commence dès aujourd’hui ?
- Corinne : Non… On peut y aller… »
- Th. : « OK… Alors comme ça, juste pour commencer… Bien sûr on pourra vraisemblablement pas faire l’inventaire de tout et il y a sûrement des choses qu’on va oublier… Mais déjà en deux-trois points, est-ce que vous pouvez me parler là… maintenant… des choses qui vous terrorisent le plus…
- Corinne : Déjà, c’est la mort…
- Th. : La mort pour vous ou la mort des autres ?...
- Corinne : Je peux commencer par vous dire que j’ai très peur pour moi. Peur du néant, de la décomposition, de la pourriture, de ce qu’on devient après… Et aussi qu’est-ce qu’on a été avant… C’est vrai quoi… on sait qu’on va tous y passer, ça on le sait, on peut rien y faire… Et pourtant... Ça me hante quand j’y pense… Et quand ça vient… j’arrive pas à penser à autre chose…
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Le tout avec toujours beaucoup de bienveillance, comme aime à le souligner notre ami Yves Doutrelugne, grand expert de cette pratique. Nous avons tous en tête le jeune Erickson et son fameux « Veau » (que vous trouverez sans effort sur Internet, pour ceux qui souhaiteraient se rafraîchir la mémoire...), ainsi que bien d’autres analogies ou métaphores, que chaque formateur aime utiliser afin d’illustrer cette démarche. Démarche qui, si elle est effectivement implacable, n’en est cependant pas si simple à mettre en oeuvre, et nous en avons tous fait l’expérience, car s’il suffisait simplement de suivre et d’appliquer une « méthode » ou encore un « process », nous pourrions nous contenter de dire alors à ce patient, souffrant de troubles anxieux depuis des années : « Ecoutez-moi bien, mon cher Monsieur... il convient de stopper vos tentatives d’évitement, quelles qu’elles soient, et puis ensuite simplement de vous confronter à vos peurs... Et tout ira bien, le tour sera joué... Voilà tout... » CQFD. C’est facile...
On vient d’inventer « le fil à couper le beurre », comme le dirait mieux que moi Dominique Megglé. Dans l’exemple clinique dont je vais vous parler, la tâche thérapeutique des « 30 minutes du pire », bien connue, très largement documentée, et enseignée dans tous les bons instituts, repose surtout et avant tout sur un « Dialogue stratégique » qui va conditionner la disponibilité du patient à exécuter cette tâche... Comme vous le constaterez, cette « conversation en entonnoir » va bien au-delà d’une simple discussion, il s’agit d’une communication hypnotique sans transe formelle. Cette conversation provoque une activation cognitive qui induit une « Expérience émotionnelle correctrice ». Et c’est bien cette expérience « incarnée » (qui se passe avant tout dans le corps) qui va amener, ici, la patiente à accepter cette tâche thérapeutique comme étant la seule alternative possible à l’issue de l’entretien.
Comme nous l’a redit Giorgio Nardone, lors de sa venue à Nantes en septembre dernier : « Ne vous y trompez pas, cette conversation qui amène le patient à ressentir cette Expérience émotionnelle correctrice est une induction hypnotique. » Cet entretien, comme vous le constaterez, est ponctué de nombreuses pauses (« ... »), que vous pourrez également respecter en le lisant. Ces pauses, comme le disait Alain Vallée, sont parfois essentielles à la fluidité du discours et permettent bien souvent aux phrases de rentrer dans le corps... Tout en donnant au thérapeute le temps de réfléchir... La patiente s’appelle Corinne, elle a 66 ans, et je la rencontre pour la première fois.
- Thérapeute : « Qu’est-ce qui vous amène ?
- Corinne : Quand j’ai pris rendez-vous c’était pour une autre raison, mais maintenant je ne sais plus trop… Depuis quatre semaines, je suis rentrée de vacances et j’ai pris la décision de rompre d’avec mon compagnon. Il est plus âgé que moi de dix ans, ça fait sept ans qu’on est ensemble, et ça ne va plus depuis déjà trop longtemps… Et là j’ai pris la décision de me séparer, je lui ai dit qu’on devait faire une pause, mais je sais bien que c’est fini pour moi... Et je ne sais pas comment je vais m’en sortir.
- Th. : OK... Vous me dites que vous avez pris rendez-vous pour un problème, et que depuis, il y a eu quatre semaines… Et que depuis vous avez pris la décision de rompre… Et que depuis vous savez plus trop, ni surtout comment vous allez vous en sortir... C’est bien ça ?
- Corinne : Oui…
- Th. : Et dans la situation de maintenant, pour vous, le problème… celui qui une fois réglé vous rapporterait le plus… sans pour autant oublier les autres… Pour vous, là, maintenant… ça serait quoi ?…
- Corinne : Je crois que c’est ça, cette rupture… Et en même temps que c’est en lien avec mes problèmes d’avant.
- Th. : OK… Et ça vous ennuie si je vous demande “c’est quoi” vos problèmes d’avant ?
- Corinne : C’est ma peur de la mort, et aussi et surtout la peur d’être abandonnée.
- Th. : Et vous pouvez m’en dire un peu plus sur ce que c’est… chez vous… la peur de la mort, la peur de l’abandon... et peut-être d’autres peurs, que vous avez encore ?
- Corinne : Oh, oui. J’en ai plein d’autres vous savez… Je sais même pas si on aura assez de temps aujourd’hui pour que je vous parle de tout ça.
- Th. : Ah bon ? C’est autant que ça ? Vous savez moi j’ai appris à être très patient avec mon métier… Récemment j’ai soigné un patient qui était venu avec un carnet, dans lequel il avait répertorié 43 situations… Oui… 43 situations, toutes concrètes, toutes valides. Et vous savez… aujourd’hui il parvient de nouveau à sortir de chez lui progressivement… Et il recommence à faire face… petit à petit… sans forcément que ça marche à chaque fois… A tout un tas de situations auxquelles il n’imaginait pas, auparavant, être en mesure de se confronter de nouveau… Et ça semble déjà être beaucoup plus satisfaisant pour lui…
- Corinne : Oui, vous savez, ça fait depuis l’âge de 15 ans que je vis avec toutes ces peurs. La raison je la connais bien, et c’est pour ça que j’ai jamais consulté jusque-là. Mon père, ou plutôt celui que je croyais être mon père, ce n’était pas mon vrai père... Et je l’ai appris comme ça, là, à l’âge de 15 ans... Et alors vous savez, ça n’a pas été facile de vivre avec ça, je me suis ensuite mariée, j’ai eu des enfants, mais j’ai toujours eu plein de peurs qui se sont développées à partir de ce moment. Tout un tas de peurs que j’avais pas avant… Peur que mon mari me quitte, peur de mourir, peur de me retrouver seule... Celle-là je crois que c’est la pire… Peur pour mes enfants… Et alors plus tard, j’ai essayé de retrouver mon géniteur, et ça n’a pas bien fonctionné… Il m’a répondu, mais il m’a dit que je ne faisais partie de sa vie que “virtuellement”… Virtuellement… Vous vous rendez compte, alors que moi je suis bien réelle… Mes parents eux n’ont pas compris ma démarche, ils m’ont même trouvée idiote de faire ça… Et mon père d’adoption, celui que j’ai toujours appelé “papa”… lui… il m’en a même voulu…
- Th. : OK… Et vous me dites que d’avoir retrouvé votre géniteur et tout ça… Sur vos mécanismes de peur… ça n’a tout simplement pas fonctionné… C’est ça ?
- Corinne : Oui, c’est ça...
- Th. : Comme si parfois on cherchait dans le passé une solution au problème de maintenant. Et que ça ne marche pas ?
- Corinne : Oui, effectivement...
- Th. : Et vous avez raison… Ça ne marche pas… Et si vous me le permettez, je vous poserais même encore une autre question ?...
- Corinne : Oui, bien sûr. Allez-y...
- Th. : Et si… avoir retrouvé votre géniteur… et toutes les conséquences que ça a pu avoir sur vous, sur vos parents, etc... ça pouvait avoir eu un tout petit impact sur votre problème… sur vos peurs… Pour vous, cet impact… ça a été mieux ou ça a été pire ?…
- Corinne : Pire, bien sûr…
- Th. : Et pendant tout ce temps, pendant toutes ces années, quand toutes ces peurs revenaient, et je vous crois qu’il peut y en avoir eu beaucoup… Comment est-ce qu’elle faisait cette personne, pour en atténuer le signal ?
- Corinne : Ça va paraître idiot ce que je vais vous dire... mais je me suis toujours servi de la douleur…
- Th. : De la douleur ?
- Corinne : Oui… Un jour j’ai découvert que quand je me faisais mal… ça calmait ma peur… Un peu comme un “contre-feu”…
- Th. : Et je peux vous demander comment vous procédez ?
- Corinne : Oh, rien de bien compliqué… Je me cogne la tête… comme ça… en arrière… Pour que ça se voit pas trop… ça peut arriver quelquefois que je me fasse des marques, alors je le fais vers l‘arrière…
- Th. : OK… Alors ce que vous me dites… si je comprends bien, c’est que pendant toutes ces années, et pendant tout ce temps, le moyen que vous, vous avez mis stratégiquement en place, à chaque fois que vous faites… Ça vous va si on appelle ça des crises ?
- Corinne : Oui…
- Th. : Comme des “attaques de panique” peutêtre ?
- Corinne : Oui, c’est tout à fait ça.
- Th. : Alors, si je comprends bien, le moyen stratégique, chaque fois que vous faites ces crises, ces attaques de panique… Eh bien vous vous faites mal… Comme ça (avec la gestuelle), en vous cognant la tête en arrière ?
- Corinne : Oui, c‘est ça…
- Th. : Une fois ? Plusieurs fois ?
- Corinne : Très souvent plusieurs fois… Une bonne dizaine de fois au moins la plupart du temps…
- Th. : OK… Merci pour ces précisions… Et que ça… se cogner jusqu’à dix fois la tête en arrière… Eh bien ça casse la crise et qu’ensuite la plupart du temps vous reprenez le cours de votre journée ? Ou de votre nuit ?…
- Corinne : Oui, c’est ça… Sauf que ça n’a pas été tout le temps autant présent dans ma vie…
- Th. : OK… Et là avant de m’appeler, c’était comment ?
- Corinne : Vous savez, depuis que je suis avec Henry, c’est beaucoup moins, peut-être une fois par semaine, ou trois-quatre fois par mois…
- Th. : OK... Mais là vous avez peur que ça soit beaucoup plus…
- Corinne : Oh oui... Et ça… ça me terrorise…
- Th. : OK… Je comprends mieux maintenant en quoi c’est si important pour vous de venir me voir là… en ce moment… alors que vous avez pris la décision de rompre avec Henry… Et que ça vous fait craindre de nouveau de refaire encore plus de crises, et tout et tout…
- Corinne : Oui, c’est tout à fait ça… En plus j’ai déjà assez transmis ces angoisses à ma fille, et maintenant je m’occupe souvent des mes deux petits-fils, je ne voudrais pas leur montrer ce spectacle.
- Th. : Et vous avez bien raison évidemment… Et je ne sais pas pourquoi, mais tout ça… ça me fait penser, vous savez… à ces jeunes adolescentes qui mettent des sweat-shirts à manches longues en plein été, vous savez… Juste pour masquer leurs avant-bras… plein de traces comme ça (gestuelle de scarification...).
- Corinne : Oui... J’en ai entendu parler…
- Th. : Parfois c’est aussi juste comme ça (gestuelle de “claquage”), elles font des trucs avec des élastiques qu’elles se “claquent” tout le temps sur leurs poignets, ou même parfois elles vont jusqu’à se faire de plus grosses entailles avec des compas, ou des rasoirs... Elles ont 13- 14-15 ans… Et au moment où c’est vraiment pas facile d’avoir cet âge de nos jours, tout simplement… Alors elles vivent une période de leur vie où juste… elles ressentent de la peur, ou même un peu de tristesse… Alors elles ne comprennent pas… Et parfois leur entourage et les docteurs eux-mêmes ne comprennent pas… Alors elles se disent : “chuis nulle, je devrais pas ressentir ça”... Et elles trouvent un petit moyen, souvent comme ça, par hasard un jour, ou parce qu’une copine leur a montré, de diminuer cette peur ou cette tristesse quand elle arrive… Alors elles se mettent à le faire, à le faire… Au début ça les soulage, mais plus elles le font, et plus elles se disent que c’est nul de faire ça… Et ça... de votre point de vue… ça a quel effet sur la peur ou la tristesse ?…
- Corinne : Ça ne fait que les amplifier…
- Th. : Tout a fait… Et si je comprends bien… et vous me corrigez si je me trompe… vous... pour qui jusque-là c’était à peu près acceptable, avec trois-quatre crises de panique par mois, vous avez peur... Et à juste titre, que votre situation de maintenant, et vous savez de quoi vous parlez, elle convoque de nouveau toutes ces peurs : abandon, mort, séparation, etc. Et que vous n’allez pas arrêter de vous mutiler si on ne vous aide pas à faire autrement ?…
- Corinne : Je sais pas comment le dire plus juste…
- Th. : Et s’il y avait un moyen de faire différemment ?… De faire autrement ?… Qu’avec la douleur... La douleur comme un “contrefeu”… la douleur comme un évitement ?… Ça vous dirait d’essayer ?… Vous seriez prête ?… Prête à avancer, vous aussi… Doucement, progressivement, sans que ça soit efficace à chaque fois au début, et à obtenir quelque chose de déjà plus digne, de plus satisfaisant ?…
- Corinne : Oui, je veux bien... Je crois que je suis prête maintenant…
- Th. : OK… Et ça vous ennuie si on commence dès aujourd’hui ?
- Corinne : Non… On peut y aller… »
- Th. : « OK… Alors comme ça, juste pour commencer… Bien sûr on pourra vraisemblablement pas faire l’inventaire de tout et il y a sûrement des choses qu’on va oublier… Mais déjà en deux-trois points, est-ce que vous pouvez me parler là… maintenant… des choses qui vous terrorisent le plus…
- Corinne : Déjà, c’est la mort…
- Th. : La mort pour vous ou la mort des autres ?...
- Corinne : Je peux commencer par vous dire que j’ai très peur pour moi. Peur du néant, de la décomposition, de la pourriture, de ce qu’on devient après… Et aussi qu’est-ce qu’on a été avant… C’est vrai quoi… on sait qu’on va tous y passer, ça on le sait, on peut rien y faire… Et pourtant... Ça me hante quand j’y pense… Et quand ça vient… j’arrive pas à penser à autre chose…
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Dr Thierry PICCOLI
Médecin omnipraticien depuis 1998, formé aux thérapies brèves et à l’hypnose (ARePTA, EDP, Gema...). Exerce à côté de Nancy en libéral ainsi qu’en institution. Intervient également dans des ateliers d’intervisions sur cas cliniques, au sein de son CMP, et dans un groupe de pairs nancéien.
Commandez la Revue Hypnose & Thérapies brèves n°76 version Papier
N°76 : Fév. / Mars / Avril 2025
Effet placebo, dialogue stratégique.
Julien Betbèze, rédacteur en chef, nous présente ce n°76 :
. Dominique Megglé est parti quelques jours en mission avec MacGyver pour trouver le secret de la thérapie réussie. Cet article concerne tous les bricoleurs avisés, adeptes du couteau suisse de la relation humaine. Dominique est revenu de sa mission avec une grande découverte : le placebo. Comment faire pour retrouver cette piste ? Il nous suggère d’accepter d’être « démuni, pauvre, à sec, sans idée », pour pouvoir bricoler « comme un cheval adroit ou un chien de chasse rusé ». La technique pour la technique, voilà le piège.
. Thierry Piccoli nous décrit l’importance du dialogue stratégique pour rejoindre l’autre dans son monde de peur et préparer l’engagement dans la tâche thérapeutique afin de bloquer les tentatives de solution. A travers la situation de Corinne, prisonnière d’attaques de panique, il nous montre avec précision comment ce dialogue recadre la situation en permettant une expérience émotionnelle correctrice.
. Nous faire découvrir Milton Erickson comme un patient est le challenge que nous offre Blandine Rossi-Bouchet. Cet article original nous amène à percevoir Milton Erickson du côté de ses symptômes (séquelles de dyslexie, aphasie, dysarthrie, douleurs récurrentes), et à découvrir comment ces épreuves l’ont conduit à développer sa créativité et sa résilience.
Vous lirez dans l’« Espace Douleur Douceur » l’introduction de Gérard Ostermann qui nous présente trois articles : celui de Marc Galy nous montre, avec la situation d’une jeune femme présentant un cancer du sein, comment remettre en mouvement les processus d’anticipation à partir de la présence partagée. Rachel Rey aborde l’intérêt de l’hypnose en préopératoire chez les enfants atteints de scoliose. Maud-Roxane Delatte nous offre une belle expérience concernant l’hypnose et la rééducation de la main en post-opératoire.
. Le dossier thématique est centré sur la gériatrie. Sophie Richet-Jacob nous présente trois cas cliniques concernant le traitement du trauma chez le sujet âgé : deux sont en lien avec la guerre, le troisième cas est en lien avec des violences conjugales et tentative d’assassinat. Elle évoque la méthode de l’Haptic Gamma Embodiement (HGE) pour préparer le travail sur les mouvements alternatifs et les changements de scénarios, avec utilisation éventuelle de Playmobils.
. Marie Floccia et Geneviève Perennou nous montrent l’importance de l’hypnose pour accompagner les personnes atteintes de troubles neurocognitifs et leurs aidants. Elles illustrent leur propos avec le cas de Madame Jeanne, 84 ans. Cet article montre les spécificités de la transe chez les personnes âgées et l’importance de retrouver l’estime de soi à travers des expériences de fierté.
. Serge Sirvain et Guillaume Belouriez utilisent l’hypnose dans une lecture systémique pour améliorer la qualité de vie des patients en soins palliatifs. Avec deux situations cliniques, les auteurs illustrent l’intérêt de ce lien épistémologique pour pouvoir répondre de manière éthique à ces situations complexes.
Les rubriques :
Enfin, vous retrouvrerez vos rubriques préférées de Stefano Colombo et Muhuc sur le temps qui passe, de Sophie Cohen sur la peur de tomber dans l’abîme, d’Adrian Chaboche sur le mouvement pour retrouver la vie, et de Sylvie Le Pelletier-Beaufond qui nous emmène au Mali pour découvrir le kotéba, thérapie inspirée du théâtre traditionnel.
Crédit photo: Caroline Berthet
Effet placebo, dialogue stratégique.
Julien Betbèze, rédacteur en chef, nous présente ce n°76 :
. Dominique Megglé est parti quelques jours en mission avec MacGyver pour trouver le secret de la thérapie réussie. Cet article concerne tous les bricoleurs avisés, adeptes du couteau suisse de la relation humaine. Dominique est revenu de sa mission avec une grande découverte : le placebo. Comment faire pour retrouver cette piste ? Il nous suggère d’accepter d’être « démuni, pauvre, à sec, sans idée », pour pouvoir bricoler « comme un cheval adroit ou un chien de chasse rusé ». La technique pour la technique, voilà le piège.
. Thierry Piccoli nous décrit l’importance du dialogue stratégique pour rejoindre l’autre dans son monde de peur et préparer l’engagement dans la tâche thérapeutique afin de bloquer les tentatives de solution. A travers la situation de Corinne, prisonnière d’attaques de panique, il nous montre avec précision comment ce dialogue recadre la situation en permettant une expérience émotionnelle correctrice.
. Nous faire découvrir Milton Erickson comme un patient est le challenge que nous offre Blandine Rossi-Bouchet. Cet article original nous amène à percevoir Milton Erickson du côté de ses symptômes (séquelles de dyslexie, aphasie, dysarthrie, douleurs récurrentes), et à découvrir comment ces épreuves l’ont conduit à développer sa créativité et sa résilience.
Vous lirez dans l’« Espace Douleur Douceur » l’introduction de Gérard Ostermann qui nous présente trois articles : celui de Marc Galy nous montre, avec la situation d’une jeune femme présentant un cancer du sein, comment remettre en mouvement les processus d’anticipation à partir de la présence partagée. Rachel Rey aborde l’intérêt de l’hypnose en préopératoire chez les enfants atteints de scoliose. Maud-Roxane Delatte nous offre une belle expérience concernant l’hypnose et la rééducation de la main en post-opératoire.
. Le dossier thématique est centré sur la gériatrie. Sophie Richet-Jacob nous présente trois cas cliniques concernant le traitement du trauma chez le sujet âgé : deux sont en lien avec la guerre, le troisième cas est en lien avec des violences conjugales et tentative d’assassinat. Elle évoque la méthode de l’Haptic Gamma Embodiement (HGE) pour préparer le travail sur les mouvements alternatifs et les changements de scénarios, avec utilisation éventuelle de Playmobils.
. Marie Floccia et Geneviève Perennou nous montrent l’importance de l’hypnose pour accompagner les personnes atteintes de troubles neurocognitifs et leurs aidants. Elles illustrent leur propos avec le cas de Madame Jeanne, 84 ans. Cet article montre les spécificités de la transe chez les personnes âgées et l’importance de retrouver l’estime de soi à travers des expériences de fierté.
. Serge Sirvain et Guillaume Belouriez utilisent l’hypnose dans une lecture systémique pour améliorer la qualité de vie des patients en soins palliatifs. Avec deux situations cliniques, les auteurs illustrent l’intérêt de ce lien épistémologique pour pouvoir répondre de manière éthique à ces situations complexes.
Les rubriques :
Enfin, vous retrouvrerez vos rubriques préférées de Stefano Colombo et Muhuc sur le temps qui passe, de Sophie Cohen sur la peur de tomber dans l’abîme, d’Adrian Chaboche sur le mouvement pour retrouver la vie, et de Sylvie Le Pelletier-Beaufond qui nous emmène au Mali pour découvrir le kotéba, thérapie inspirée du théâtre traditionnel.
Crédit photo: Caroline Berthet